Mon chien attaque sans raison – La vérité sur l’agression redirigée

L’agression redirigée est l’une des formes de comportement canin les moins comprises, et pourtant, elle est étonnamment courante. Qui n’a jamais vu un chien hurler de frustration, ne pouvant pas atteindre ses congénères de l’autre côté du grillage ? Ce trop plein d’émotions peut mener à une réaction impulsive : une morsure sur ce qui sera immédiatement accessible (un autre chien du foyer, un humain…). L’agression redirigée peut se manifester sous diverses formes, de la décharge sur un jouet à une attaque.

L’agression redirigée est causée par une incapacité à gérer un trop-plein d’émotions. Au lieu de s’attaquer à la source du problème (dans notre exemple, des chiens qui jouent hors de portée), le chien reporte son attention sur ce qui est le plus proche de lui ou le plus accessible afin de s’apaiser. Elle peut être dirigée sur des animaux, des humains ou même des objets (laisse, jouet, barrière). Heureusement, il est relativement facile de l’éradiquer quand on en comprend les causes. 

I. Comprendre l’agression redirigée

Définition et mécanismes sous-jacents.

L’agression redirigée est un phénomène comportemental observé non seulement chez les chiens mais également au sein d’autres espèces animales. Elle se caractérise par une réaction agressive déclenchée par un stimulus précis. Au lieu de viser cette source, l’agression est redirigée vers une autre cible, souvent plus accessible. Ce type de “sur-réaction” peut survenir dans des situations où l’animal se sent frustré ou menacé tout en étant incapable d’exprimer son agressivité vers la source réelle de son agitation.

Au cœur de l’agression redirigée se trouvent des mécanismes de frustration et d’inhibition. Par exemple, si on nargue un chimpanzé au zoo avec de la nourriture tout en la gardant inaccessible, le singe pourrait “soudainement » agresser un congénère. Sur le moment, on pourra conclure que le primate ne souhaitait pas partager sa ressource. En réalité, la frustration de voir des aliments sans pouvoir se les approprier ne fait qu’augmenter la tension. S’en prendre à un congénère n’est qu’un moyen pour la soulager. Nous en conviendrons, si elle peut être évitable, elle doit être évitée !

La difficulté de diagnostic

C’est là que réside la complexité et le danger de l’agression redirigée : l’entité qui subit l’agression n’est généralement pas celle qui a provoqué l’émotion initiale. Par exemple, un chien peut être irrité par des bruits forts, comme des feux d’artifice ou des orages. Sans cible évidente pour son agitation, il peut se retourner contre un objet, un autre animal ou même son humain. Cette forme d’agression est particulièrement imprévisible car elle peut survenir même en l’absence d’une provocation directe. Elle souligne l’importance de comprendre et de reconnaître les signes avant-coureurs et les déclencheurs potentiels pour prévenir de telles manifestations.

schéma agression redirigée

Frustration de ne pas pouvoir accéder à un autre chien, se manifestant par une morsure de la laisse.

Excitation excessive lors d’un jeu, conduisant le chien à mordre le propriétaire.

Douleur aiguë ou stress accumulé qui éclate lors d’une interaction apparemment bénigne avec un congénère.

L’agression redirigée est unique car elle ne cible pas nécessairement la source du stress ou de la frustration du chien. Au lieu de cela, le chien exprime son agressivité sur une cible alternative. À titre comparatif, l’agression liée à la protection des ressources se manifeste quand le chien défend une de ses possessions : lit, nourriture, jouet, gardien… Les menaces et l’éventuelle morsure sont directement liées au déclencheur. Dans le cas de la protection de ressources, la cible de l’agression est claire et directement liée à la cause du stress, contrairement à l’agression redirigée.

II. Les principales causes de l’agression redirigée

Comme nous l’avons vu, le générateur de cette agressivité est souvent une émotion trop forte. On pense souvent à la colère comme carburant, pourtant ce n’est pas la principale en cause !

La frustration

Oui, comme vous l’avez compris, la frustration est une cause fréquente d’agression redirigée chez les chiens. L’exemple bénin le plus courant est le chien retenu en laisse, incapable de saluer un congénère. Excédé, ce dernier finit par mordre la laisse, voire même la main qui le retient. Ces pincements ne causent généralement aucune blessure et sont donc ignorés. Cette forme d’agression est souvent le résultat d’un manque de moyens d’exprimer adéquatement cette frustration. En éduquant un chien aux autocontrôles, on peut l’aider à mieux gérer ses émotions et mettre en place des comportements alternatifs. Par exemple, proposer un contact visuel à l’humain, renifler par terre pour faire retomber la tension ou s’asseoir afin de demander poliment d’être détaché.

Peur et Conflit

La peur est un puissant déclencheur pour de nombreux comportements, et le principal pour l’agression. Lorsqu’un chien est terrifié, il peut se sentir pris au piège et choisir de « combattre » plutôt que de « fuir », surtout s’il estime que la fuite n’est pas une option. Dans des situations où il perçoit une menace mais ne peut pas s’adresser directement à elle (coups de feu, objet qui tombe, ballon qui éclate), il peut rediriger son agressivité vers quelque chose ou quelqu’un d’autre. Ceci est souvent couplé avec le sentiment de conflit, où le chien est tiraillé entre deux décisions : par exemple, l’envie d’approcher quelque chose qu’il trouve intrigant, tout en ayant peur de cet élément.

L’excitation

L’excitation excessive peut également conduire à l’agression redirigée. Dans le feu de l’action, un chien peut perdre momentanément le contrôle de ses inhibitions. Le jeu est souvent un facteur de bien de problèmes. Ce qui commence comme une bataille amicale peut rapidement devenir trop intense. Les morsures involontaires sont très courantes, à l’instar des comportements apaisants et compensatoires (chevauchements). Les jeux de poursuite peuvent également dégénérer en prédation. Le chien jouant le rôle du “lapin” devant donc réellement fuir pour éviter des claquages de mâchoires liés à l’excitation de la poursuite et l’agacement de ne pas attrapper la “proie”. Les agressions causées par trop d’excitation sont souvent le fruit d’une énergie débordante qui n’a pas été correctement canalisée.

III. Comment reconnaître un chien enclin à l’agression redirigée

La prévention est la première étape pour gérer ce problème. Comme dans beaucoup de cas, cela commence par reconnaître les signes précurseurs. Lire le langage corporel de votre chien doit devenir un réflexe : vous verrez qu’avec de la pratique, nos toutous envoient beaucoup de signaux d’alerte avant de déclencher ! Un chien qui est sur le point de décharger présente certains comportements spécifiques. Ils sont soit liés à l’immobilité avant la crise, soit une décharge d’énergie déjà inquiétante. Il est donc important d’observer attentivement son chien pour une intervention précoce.

Les signes postaux qui annoncent une agression redirigée :

  • Fixité intense sur un chien ou un objet inaccessible
  • Posture haute
  • Queue raide ou mouvements courts et saccadés
  • Sauts sur le portail, le grillage
  • Course suivant la longueur d’une clôture, en va et vient
  • Aboiements très répétés, souvent aigus 
  • Jeu de bagarre trop intense, sans pauses
  • Jeu de poursuite unilatéral, les rôles ne s’inversent pas
  • Sauts sur place si le chien est tenu
  • Crête sur les épaules, le dos ou la croupe
  • Pupilles dilatées 

Certains signaux sont très faciles à voir, d’autres moins. La complexité de cette observation est causée par l’ambivalence des signaux. Un chien qui remue la queue peut être heureux, effrayé, inquiet ou menaçant. La différence entre les battements de queue sont très subtils. Elle peut battre davantage à gauche, à droite, avoir des mouvements très amples et lents, ou rapides et courts. Elle peut être tenue haute ou basse, alterner avec plusieurs rythmes, et chacun de ses exemples exprime une émotion différente !

Si le sujet vous passionne, l’une de nos formations phares “Le Dico des Signaux” traite en profondeur du sujet. Tout est sourcé avec des études récentes, et vous y trouverez + de 5 heures d’analyses en vidéo. Nous avons par exemple recensé le type et la signification de tous les battements de queue, des aboiements selon la tonalité, ou ce que signifie la crête si elle est dressée sur la nuque, les épaules ou la croupe ! Bref, pour découvrir le langage secret des chiens, ce cours unique en France vous fera entrer dans un nouveau monde. 

IV. La rééducation d’un chien qui mord par redirection

Comme nous l’avons découvert tout au long de cet article, la source de l’agression redirigée est souvent un trop plein émotionnel. C’est l’effet “goutte d’eau qui fait déborder le vase”. La rééducation se basera donc sur trois axes :

  • L’apprentissage de la résilience (pour que le “vase” ne se remplisse pas aussi vite)
  • La mise en place de comportements apaisants (pour vider le vase) 
  • La gestion des émotions par l’humain (pour enlever carrément le vase)

Il va de soi que l’aide d’un professionnel est incomparable dans ce processus. Si vous débutez dans l’éducation canine, n’attendez pas que votre chien empire au point de mordre quelqu’un. Cela vous évitera aussi des erreurs d’auto diagnostic. Votre chien est peut-être tout simplement réactif

Les 3 axes de travail pour traiter l’agression redirigée

Cette méthode en trois points permet de traiter les causes et les conséquences des agressions redirigées. Aussi, travailler deux points sur trois ne suffira pas. Ce processus prendra du temps, et chaque pôle progressera à son rythme. Ne vous attendez pas à des résultats en quelques semaines !

A. L’apprentissage de la résilience

Nous avons déjà beaucoup parlé de ce thème sur le blog. La résilience, c’est la capacité d’un être vivant à naviguer à travers un ou plusieurs problèmes très stressants sans en garder de séquelles. Par exemple, un chiot bloqué derrière un grillage cherchant à rejoindre son humain. Tout en pleurant, le petit longera la barrière jusqu’à trouver une sortie. Si après cette expérience, le chiot n’exprime aucun stress à l’idée de s’éloigner à nouveau, on peut dire qu’il est résilient. Être exposé à ce stress en entrainement permet au chien d’apprendre à fonctionner malgré ses émotions. Ainsi, notre chiot bloqué à nouveau derrière un grillage ne perdra pas de temps à pleurer : il cherchera directement une sortie. 

Cette compétence émotionnelle permet au chien sujet aux agressions redirigées de mieux canaliser sa frustration. En effet, dans son étude « Redirected aggression in dogs » Blackwell démontre que l’agression redirigée est plus susceptible de se produire chez les chiens qui tolèrent mal la frustration. Certes, si Fido veut rejoindre ses copains alors qu’il est en laisse, le but n’est pas de lui apprendre à détacher cette dernière… Mais plutôt à communiquer avec son humain. C’est ce qu’on aborde dans le 3ème point : la gestion des émotions par l’humain. 

Pour travailler sur la résilience de votre chien, voici deux articles sur le sujet :

B. La mise en place de comportements apaisants

Quand nous sommes stressés, notre corps tente de nous réguler en proposant des comportements apaisants. Pour certains c’est se ronger les ongles, d’autres se toucher les cheveux et les tresser. Écouter de la musique, s’isoler ou parler à quelqu’un sont autant d’alternatives que nous choisissons pour quitter un stade émotionnel inconfortable. Fido ferait bien pareil s’il avait autant de liberté de mouvement que nous ! Selon son caractère, les choix peuvent différer. Pour un malinois excité, on pourra proposer un jouet résistant à trimballer pendant la balade. Pour un grand anxieux, un jouet d’enrichissement fourré avec de la nourriture s’occupera sereinement. Sans matériel, on peut aussi aider le chien et initier une session d’odorat, ou creuser le sol pour qu’il nous imite. 

Ces comportements sont naturels et aident autant à la dépense d’un surplus d’énergie, qu’à l’apaisement. Après avoir mangé un chew (friandise à mâcher) un chien anxieux pourra spontanément passer à la toilette de ses pattes. Ce passage d’une activité d’occupation à une activité réconfortante et relaxante lui permet de sortir définitivement de son stress. Cependant, cela prend du temps. Au début, les chiens finiront leur première activité et repartiront en frustration. L’intérêt est donc de leur offrir une alternative tout en les soustrayant à la cause du problème. 

Voici deux articles traitant plus en détail des activités apaisantes :

C. La gestion des émotions par l’humain

Avec un chien moins stressé (apprentissage de la résilience) et capable de redescendre en émotion (mise en place de comportements apaisants) nous avons fait le gros du travail. Maintenant il ne nous reste plus qu’à relier les deux notions ensemble avec la gestion des émotions. 

Notre chien est donc moins stressé facilement, mais quand il l’est, il sait se calmer.

Oui mais que faire quand il est dans une crise de frustration et que rien ne peut le distraire ? En soi, sur le moment, rien. Mais nous allons achever ses compétences avec la mise en place d’exercices d’une redoutable efficacité : les autocontrôles. En effet, dans son étude « Redirected aggression in dogs » Blackwell démontre que l’agression redirigée est plus susceptible de se produire chez les chiens qui tolèrent mal la frustration.

Le travail du self control permet au chien de ne pas répondre immédiatement à ses instincts primaires (manger les restes au sol, pourchasser un jogger…). Les autocontrôles permettent cette seconde de réflexion qui peut faire la différence entre une montée en excitation qui finirait en agression redirigée. Avec de petits exercices, on apprend à Fido qu’il doit réfléchir avant d’agir, et que nous sommes la clé pour accéder à ses désirs. S’il veut aller voir un chien, hurler en tirant sur la laisse ne le fera pas bouger. Par contre, s’asseoir en nous regardant nous fait détacher la laisse. 

Conclusion

L’agression redirigée chez le chien, bien qu’effrayante et imprévisible, est un rappel clair de la complexité des comportements canins et de la profondeur de leurs émotions. Pour aborder ce défi avec succès, la patience et une profonde compréhension des antécédents de l’animal sont cruciales. La prévention des agressions n’est pas un acte isolé, mais un travail quotidien. Cela implique une formation constante, des interactions positives et une surveillance attentive des signes avant-coureurs. Il s’agit de construire une relation basée sur la confiance, la compréhension mutuelle et le respect. En faisant cela, non seulement nous minimisons le risque d’agression redirigée, mais nous enrichissons également la qualité de la relation que nous entretenons avec nos fidèles compagnons.

Vous pencher sur les besoins de votre chien vous permettra de comprendre bon nombre de ses réactions. S’il n’est jamais libre, il voudra rencontrer tous les chiens. S’il est toujours en laisse, il sera plus facilement frustré contre cette dernière. Assurez-vous de bien respecter et remplir ses jauges de besoins physiques, mentaux et sociaux. En lui offrant ce dont il a réellement besoin, vous lui donnez envie de collaborer avec vous pour des petits jeux de connexion et d’autocontrôles qui éviteront l’apparition d’agressions redirigées. 
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Sources / Bibliographie

  • Redirected aggression in dogs : a review of the literature – Emily J. Blackwell (2014)
  • The role of frustration and conflict in redirected aggression in dogs – Paul E. Devis (2015)
  • Redirected aggression in dogs : a case study – Emily J. Blackwell (2016)
  • L’agressivité redirigée chez le chien – Dr Jean-Pierre Roux (2017)
  • Comment gérer l’agression redirigée chez le chien – Dr Joël Dehasse (2017)
  • Redirected Aggression in Domestic Dogs: A Review – E. Jones, Journal of Veterinary Behavior (2018)
  •  Early Training and Prevention of Redirected Aggression in Puppies – G. Williams,  Journal of Applied Animal Behaviour Science (2019)
  • Redirected Aggression in Urban Dogs: A Case Study – L. Martin, Journal of Veterinary Behavior (2019)

1 réflexion au sujet de « Mon chien attaque sans raison – La vérité sur l’agression redirigée »

  1. On vit ça en permanence avec notre petite chienne de la SPA retrouvée à 3 dans la rue et adoptée il y a deux mois. C’est tellement fatiguant pour les nerfs de se faire mordre une balade sur deux… même à 12kg ça fait mal… En habitant en ville c’est plus dur d’éviter les déclenchements.

    C’est si long pour voir des progrès, même avec une éduc’ chouette et en positif comme la notre. Merci pour vos articles qui nous permettent de mettre un nom sur les déclenchements que l’on vit.

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