Les léchouilles : une simple marque d’affection canine, du moins en apparence… Des études approfondies sur le langage des chiens révèlent qu’il est aussi complexe que subtil. Les possibilités sont quasiment infinies, et la moindre variable change l’interprétation. Ainsi, le mouvement de la queue, combiné à divers signaux et contextes, peut véhiculer des émotions contradictoires. Dans ce contexte, nous imaginons aisément que lécher son humain n’est pas “juste” une manière de montrer son amour. Que représentent réellement ces léchouilles ? Quand est-ce que ce comportement devient-il un signal de stress incontrôlable ? Comment arrêter cette habitude parfois très envahissante ?
Lécher est un comportement naturel pour le chien. Au-delà de sa toilette quotidienne ou du nettoyage de plaies, la langue de Fido sert aussi à communiquer avec des congénères et les humains. Dès tout petit, le chiot associe le léchage à une action réconfortante grâce à sa mère qui le nettoie et le console. Il apprend que cette action permet de calmer les autres en cas de tension, mais aussi de s’apaiser lui-même. Souvent peu adepte de ce comportement jugé comme sale, l’humain le renforce pourtant en donnant de l’attention au chien quand il lèche.
Dépourvu de doigts, le chien utilise naturellement beaucoup sa langue. En “bisouillant” les babines de sa mère, le chiot stimule la régurgitation. Vulnérable, il applique ce même comportement à d’autres adultes pour démontrer ses intentions pacifiques et anticiper une agression. Ce signal de communication tend à disparaître avec l’âge, même si certains continuent de le pratiquer. Si les chiens sont généralement tolérants avec un chiot, ils le sont moins envers un adulte qui leur lèche compulsivement les babines, surtout si le comportement se prolonge. Ce léchage “hystérique” révèle une grande excitation ou stress que l’auteur évacue en continuant, sans se préoccuper des signaux de ses congénères.
En grandissant, le chien conserve l’habitude de se lécher les babines pour s’apaiser, mais il est beaucoup moins tactile avec ses pairs. Les deux principales exceptions sont le mâle qui lèche les parties génitales d’une femelle en chaleur et la toilette réciproque. Cette activité sociale est généralement pratiquée par deux individus qui s’apprécient déjà. Pourtant, Fido est bien plus généreux envers l’humain question bisous baveux, au point de retrouver un comportement infantile.
Mon chien me lèche tout le temps
a- La perception d’un monde
Le flair de notre meilleur ami est si développé qu’il a suffit de trois semaines à Michael McCulloch pour entraîner des chiens domestiques à détecter le cancer via l’urine et l’haleine de patients. Quel que soit le stade de la maladie, le taux de réussite avoisinait les 99%. Autant dire que rien n’échappe à Toutou quand il nous passe au crible, après le travail. Son nez lui indique quels lieux nous avons visité, dans quel ordre et qui nous a touché.
Pour affiner encore son exploration, Fido peut passer un coup de langue sur notre blouson. Il améliore ainsi son odorat, en capturant et en mouillant les molécules volatiles. D’ailleurs un jour post-pluie fait le bonheur des chiens qui pratiquent des sports d’odorat car l’humidité conserve les pistes. Suite à cette révélation, ne vous demandez plus pourquoi vos pieds, fabuleux concentré de phéromones et d’informations soigneusement conservés par la sueur les attirent particulièrement.
perdre le goût : une question de survie
Bien que le goût soit le sens le moins développé du chien (1700 papilles gustatives pour lui, contre 9000 pour nous), il est capable de différencier les quatre saveurs principales, le sucre, l’amertume, le salé et l’acide. Nous avons longtemps cru que les chiens étaient attirés par le sel de notre sueur, d’où leur passion irraisonnée pour nos pieds.
Néanmoins V. G Dethier a mis en évidence que les récepteurs de sel ne sont quasiment plus utilisés chez la majorité des carnivores dont les chiens. La viande étant une source suffisante de sodium, les capacités gustatives des prédateurs ont évolué pour les protéger d’une intoxication par surdose. Ils sont donc peu sensibles au sel et ne recherchent pas activement cette saveur. Votre crème hydratante est une simple curiosité olfactive pour Fido, à moins qu’elle n’ait un délicieux goût sucré.
b- Un langage réservé aux humains
Depuis sa domestication, le chien a toujours cherché à se rapprocher de l’humain. Il a ainsi adopté un genre de langage parallèle qui nous est spécifiquement réservé. Certains individus montrent leurs dents, signal défensif voire agressif en langage canin, pour exprimer leur joie face à leur humain. Ce simili-sourire, surtout présent chez les Bergers Australiens et les Goldens prouve une capacité d’adaptation et de mimétisme exceptionnels.
Mieux encore, nos meilleurs amis ont été jusqu’à changer de morphologie dans le but de communiquer aisément avec nous. L’étude comparative entre les chiens et les loups de Juliane Kaminski démontre que les yeux des premiers se sont arrondis. pour adopter une expression adoucie, semblable aux bambins. De plus, les chiens ont appris à littéralement hausser les sourcils, grâce à deux muscles que les loups ne possèdent pas. Associés à cette physionomie attrayante, ces comportements adaptatifs déclenchent des réflexes nourriciers chez l’humain.
Notre espèce est en général sensible à une attitude joueuse et insouciante. Ainsi, beaucoup de chiens adultes gardent des comportement de chiots. Friederike Range et. al suggèrent que le “syndrome de domestication” résulterait d’un léger déficit des cellules de la crête neuronale. Ces dernières jouent un rôle important dans la réponse au stress, rendant le chien plus sociable et tolérant, en un mot insouciant. Cette caractéristique, exacerbée par notre sélection tendrait, selon leurs hypothèses à retarder la maturité de nos meilleurs amis. Le léchage serait donc l’expression d’un de ces traits infantiles qui nous charment.
d- Un renforcement involontaire
Preuve universelle de son amour envers les bipèdes, le comportement de léchage ne fait pourtant pas l’unanimité. Certains adorent les bisous baveux de Fido, tandis que d’autres les détestent. Les derniers, enfin, acceptent dans un premier temps cette marque d’affection, avant de se rétracter quand elle devient envahissante. Quel que soit notre seuil de tolérance, le passage répété d’une langue râpeuse à souhait n’a rien d’agréable au bout d’un moment, avouons-le.
Malheureusement, nous avons un talent incroyable pour renforcer des comportements jugés indésirables. À l’instar du fameux saut de joie plein de griffes nous avons tendance à repousser, gronder ou essayer de calmer Sultan. L’interaction, y compris négative, étant préférable à l’ignorance, le chien continue d’attirer notre attention.
Afin d’éteindre ce comportement, il faut donc s’efforcer d’ignorer le bisouilleur. Levez-vous, croisez les bras pour les rendre inaccessibles et tournez la tête. Attendez que votre élève se calme pour le caresser. S’il ressort sa langue, relevez la main et recommencez l’exercice. Favorisez des interactions calmes pour éviter que les léchages de stress se mêlent aux signaux d’affection. Si Fido s’entête, isolez-le quelques minutes.
Personnellement j’ai choisi de laisser mes chiens me lécher, considérant que c’est un comportement naturel. Toutefois, comme un congénère le ferait, je montre quand j’en ai assez. Le simple fait de me tourner de l’autre côté du lit suffit à faire passer le message, après les salutations du matin. C’est à chacun de voir ce qu’il tolère ou non, et de trouver un autre moyen de laisser Fido montrer son affection.
c- De l’apaisement à l’évitement
Nous l’avons vu plus haut, le léchage envers autrui est plutôt rare dans la communication des adultes. Ils préfèrent des détournements à distance à un contact direct et prolongé. Avec les humains, toutefois, certains choisissent la stratégie du léchage quand ils sont stressés. Naturellement moins sensibles au concept d’espace vital, nous n’hésitons pas à les porter, nous pencher sur eux ou saisir leurs pattes pour des soins. Dans un premier temps Fido peut lécher notre main pour négocier sa libération, autant que pour s’apaiser. Il demande gentiment de stopper cette activité qui le gêne. Si nous insistons, il appuie son geste, érigeant une barrière physique entre l’endroit sensible et nous. Mistral détourne la tête, Syel lèche tandis que Suspens tend sa patte avant pour m’écarter. À chacun sa technique, laquelle est toujours renforcée car je les écoute directement.
Quand Suspens était petite, elle allait voir tout le monde et se jetait dans leurs bras. Les gens adoraient ses coups de langue amoureux frénétiques. Ceci dit, j’ai vite compris qu’elle cherchait à réguler son excitation et son stress. Même si sa queue remuait, ses mouvements étaient saccadés et désordonnés. Elle rejetait sa tête en arrière dès qu’un doigt s’approchait et ses pattes avant tendues maintenaient l’écart.
Plusieurs fois prise dans les bras sans son accord, ma chienne était partagée entre son amour des humains et sa crainte d’être submergée. Sa technique fonctionnait à merveille la majeure partie du temps. Les gens, amusés par son manège, n’essayaient pas de la saisir. Elle avait détourné leur attention sur autre chose. Quand on vous disait que les chiens ont un langage et des stratégies élaborées ! Ce n’est pas parce qu’un toutou donne son consentement pour une caresse qu’il accepte tous les types de contacts.
Nul besoin de paniquer lorsque votre chien évoque son stress de cette manière. Vous ne l’avez pas traumatisé ! Il communique simplement un petit mal-être que vous dissiperez en l’écoutant. Il peut aussi simplement s’apaiser ou chercher à vous apaiser s’il vous juge anxieux. Fiez-vous au contexte, aux autres signaux -halètement, raideur du corps, détournements- pour différencier la demande de câlins du signal d’apaisement.
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