Ce pot de cornichons vous résiste ? Vous l’avez coincé entre vos cuisses, l’avez déjà menacé avec un couteau, il reste scellé. Pourtant, vous continuez d’insister ? Bravo, vous êtes persistant. Cette compétence se construit lorsqu’un individu atteint un objectif malgré les obstacles. Ayant le souvenir d’être déjà parvenu à ses fins avant, il se décourage moins vite et continue. En quoi ce principe, transféré aux chiens, peut-il nous causer des problèmes ou, au contraire, nous aider ?
La persistance combine plusieurs qualités : l’intelligence, la capacité d’adaptation à son environnement et la patience. Un chien très persistant donne du “fil à retordre” lors de son éducation. Décidé à sortir malgré notre interdiction, il ouvre le loquet de son parc et, si on l’en empêche, finit par le détruire. Briser cette persistance grâce à l’éducation coercitive est pourtant une mauvaise idée. Après une cure de méthodes aversives, nous obtenons un chien complètement détruit mentalement ou, justement, encore plus persistant. Autant dire que les solutions de rééducation se réduisent drastiquement. Si elle existe encore chez le chien domestique, la persistance à une bonne raison d’être. Elle doit être maintenue et même encouragée.
À quoi sert la persistance ?
Cette qualité, présente en toute créature, à des degrés différents est nécessaire pour la survie. Elle permet de surpasser un obstacle pour atteindre un objectif. Les lions ne comptent que 30% de chasses victorieuses, pourtant ils s’échinent au travail, y compris après plusieurs échecs successifs. Le chien errant doit absolument trouver une solution pour fouiller les poubelles des restaurants, quitte à lutter contre les propriétaires qui le chassent. Malgré la faim et la fatigue, ils n’ont d’autre choix que de persister.
Selon son caractère de base, son éducation mais aussi ses expériences, un individu a plus ou moins de persistance. Dans notre société actuelle, le marketing cherche à réduire cette compétence. Les plateformes en ligne nous facilitent le travail : un clic suffit pour payer son produit et le recevoir en un temps record. L’humain n’étant plus habitué à contourner des complications cherche des solutions qui ne demandent pas de persistance. Notre frustration grimpe à une vitesse folle, et le moindre petit obstacle nous parait insurmontable : une excellente raison pour chercher des réponses immédiates.
De fait, les études prouvent que si nous étions capables d’attendre qu’une page internet charge pendant deux minutes auparavant, aujourd’hui nous quittons un site qui met plus de deux secondes à s’afficher. La disparition de la persistance entraîne celle de la concentration. On pourrait penser que le chien, domestiqué depuis 35 000 ans, a égaré la persistance en chemin. Contrairement au loup, nous subvenons à ses besoins, anticipant ses désirs. Pourtant, notre cabot préféré continue de se servir de cette qualité, afin de s’adapter à notre monde, parfois à nos dépends.
Quand l’éducation se heurte à la persistance
Si Toutou ne doit plus trouver des solutions pour remplir sa gamelle, son cerveau veille à ce que ses autres besoins soient satisfaits. Malheureusement, bon nombre d’entre eux n’ont pas leur place dans notre monde de bipèdes : creuser, renifler de droite à gauche sans contrainte, aboyer, manger dans les poubelles. C’est là que l’être humain doit choisir entre s’allier à la persistance de son chien ou la combattre. Prenons un exemple : Fido, 3 mois, détruit allègrement ce qui se trouve à portée de pattes. Son maître décide de l’enfermer pour limiter les dégâts et achète un parc. Si certains renoncent, Fido, non. Il grimpe sur la paroi, tombe mais s’acharne. Sa réussite lui prouve qu’en persistant, il obtient ce qu’il veut. Son humain résout le problème en bloquant le toit avec une palette en bois. À nouveau, le coquin tente de s’échapper. Il rate ses premiers essais puis apprend à pousser la planche avec ses pattes.
Chaque succès lui fait gagner de l’expérience. Il développe son intelligence au fur et à mesure des stratégies. Comme le niveau augmente, Fido gagne en persistance, jusqu’à pouvoir trouver des solutions à des problèmes complexes. C’est ainsi que l’on se retrouve rapidement avec un escape artiste capable de pousser une chaise contre la table pour y grimper, atteindre le plan de travail et sauter par la fenêtre (Oui, nous avons eu le cas en coaching).
Puisque la persistance consiste à surmonter quelque chose de mentalement ou physiquement aversif (l’obstacle), le chien se désensibilise à ce qui l’inquiétait. L’animal errant qui fuyait à la vue du restaurateur, finit par directement fouiller dans les poubelles sous son nez. La promesse de récompense est plus forte que la punition ou le possible danger. Au fur et à mesure, l’aversif perd en valeur, le chien passe outre. À partir de cette révélation, certains d’entre vous commencent à supposer en quoi la persistance est un frein à l’éducation, et plus particulièrement au coercitif.
La persistance, grande ennemie du coercitif
La méthode coercitive vise à casser la persistance d’un chien en ajoutant de l’aversif. Toutou tire en laisse ? On répond par une secousse désagréable. Au début, le concerné, surpris, cède. Néanmoins, si son désir d’aller voir ses copains est trop fort, il tente à nouveau de tirer. Peu importe la douleur qu’on lui inflige, le chien l’intègre à son quotidien. Souffrir est acceptable, tant qu’il peut s’approcher plus rapidement de ce qui l’intéresse. L’humain passe alors au collier étrangleur. Là encore, momentanément, Fido cesse de tirer en laisse, étonné par cet accroissement de violence. La balance entre l’aversif et le positif semble s’inverser : s’exciter pour voir ses copains n’en vaut plus la peine. Malheureusement, si son humain ne traite pas le problème à la racine, l’expectative d’accomplir ses besoins remotive le chien. À nouveau, il passe outre la douleur pour obtenir ce qu’il souhaite.
Violence accrue, efficacité déchue
L’efficacité des méthodes ou du matériel coercitif dure moins longtemps à chaque nouvelle tentative. Le chien s’accoutume rapidement à ces outils. Son cerveau, entraîné à élaborer des stratégies trouve vite comment contourner la contrainte du licol. Tel un humain qui accumule les exercices de calcul, Médor acquiert une habileté mentale excellente, tandis que physiquement, il développe sa résistance à la souffrance.
Le phénomène est un peu comparable à la mithridatisation, une technique qui consiste à prendre des doses croissantes d’un produit toxique pour s’immuniser. Suite à plusieurs vagues de violence, le concerné s’habitue, il devient insensible à l’intimidation morale ou physique. Les muscles de son cou se renforcent, il est capable de supporter de grosses décharges électriques. Quand il ne reste plus d’évolution dans la violence, nous ne pouvons plus “éduquer” le chien.
Outre le risque réel de rompre le lien du duo, la méthode coercitive démontre largement ses failles, confrontée à la persistance. Résister contre cette compétence ne fait que la renforcer ou casser le chien définitivement (on parle alors de détresse acquise). Or un chien sans persistance est une coquille vide, perclus de peurs, incapable de réguler sa frustration ou de faire preuve d’initiative.
La persistance, fidèle amie du positif
En éducation positive, nous ne luttons pas contre la persistance du chien. Nous essayons de comprendre ce qui cause le problème et nous gérons l’environnement en amont. Si Fido tire en laisse pour rejoindre ses copains, nous l’habituons à marcher à nos côtés dans un lieu calme, en le récompensant pleinement. Le lien se crée, l’objectif change : il préfère obtenir des friandises plutôt que de regarder ailleurs. C’est alors que nous passons aux étapes supérieures, le confrontant à un chien en respectant sa zone de confort, puis à plusieurs congénères. La persistance du chien change de camp. Elle lui sert désormais à faire preuve d’autocontrôle, à conserver son attention envers nous afin d’avoir sa récompense à la fin malgré les tentations.
Un chien qui a le choix, n’a pas besoin de lutter contre nous. Il se sert de sa persistance pour réussir les exercices au mieux, réessayer jusqu’à atteindre un objectif que nous apprécions. Voilà pourquoi en balade, notre meilleur ami revient de lui-même alors qu’il a senti une odeur de gibier. Sans ordre pour le diriger, il a décidé de résister à ses propres envies pour satisfaire son nouveau besoin : recevoir nos félicitations et obtenir la récompense suprême. Cette dynamique devient petit à petit un réflexe, et contrairement au collier électrique, on finit même pouvoir se passer de la friandise.
La persistance au service de l’humain
De prime abord, la persistance peut être vue comme un problème, parce qu’elle empêche le propriétaire de modeler le chien à son image. Notre meilleur ami semble nous “défier”, à ne pas vouloir se laisser apprivoiser, quitte à parfois nous tourner en ridicule. Cependant, au fur et à mesure des recherches qui s’empilent, nous nous sommes rendus compte que la persistance était nécessaire pour le bien-être de Fido, mais aussi utile à l’homme.
C’est ainsi qu’aujourd’hui nous cherchons à développer la persistance chez notre chien. Parce qu’elle lui permet d’exprimer son intelligence, mais aussi d’apprendre à être mieux dans ses pattes. Conscients qu’il faut conserver cette capacité, les humains ont inventé de nombreux moyens de la développer : tapis de fouille, lickimats, casse-têtes maison… Bref de quoi apprendre à Toutou comment relever des défis à un moment précis, dans un environnement maîtrisé. Effet immédiat positif : nous dépensons Rex les jours de pluie. Il se fatigue en un quart d’heure, plus sûrement que sur une balade de deux heures. De plus, il occupe ses longues journées d’attente. Faire travailler son cerveau le rend fier.
Les plus timides prennent confiance en eux, un peu à l’instar de l’humain, leur succès leur prouvent qu’ils ne sont pas incapables. Et si cela ne remplace pas l’aide d’un éducateur, développer cette compétence apporte un petit plus aux chiens réactifs. Nous avons ainsi vu des rescapés de dix ans, traumatisés, commencer à tisser un lien avec leur humain grâce à de petits jeux de flair. Aujourd’hui, ce sont de réels passionnés, doués, qui oublient leurs difficultés du quotidien et luttent plus facilement contre leurs démons. Apprendre à fouiller dans un sac pour chercher la trousse de prey dummy leur permet, dans la rue, de passer outre ce bout de plastique effrayant.
À long terme, aider Fido à développer sa persistance le rend plus autonome au quotidien. Il prend des décisions aisément, comme contourner un poteau, au lieu d’attendre que son humain délie la laisse. Nous avons alors un loulou heureux de prendre des initiatives qui nous plaisent, rendant son rappel parfait et surtout boostant sa confiance en lui au quotidien. Tout comme nous, il a besoin de faire travailler son cerveau, de gagner en persistance et ainsi de pouvoir être content de lui. Développer la persistance de son chien, c’est lui permettre d’exprimer pleinement sa personnalité et son plein-potentiel.