Le comportement par défaut

À chaque fois que je poste une vidéo de Ludie s’arrêtant aux trottoirs, on me demande si je n’ai pas peur qu’elle oublie et aille sur la route. Pire, que ferait-elle si elle voyait un chien ou un chat ? Partirait-elle en courant ? Le doute serait permis si je devais lui dire « stop » ou « assis ». En réalité, il s’agit d’un comportement par défaut, appris parmi bien d’autres. Leur solidité va bien au-delà de la simple obéissance servile.

Le comportement par défaut est celui que va proposer le chien plus fréquemment que les autres. Il peut être conditionné (assis devant la gamelle) ou non (aboiements après la sonnette). C’est naturellement l’action qui est la plus renforçatrice. Ainsi, pour qu’un chien propose naturellement un refus d’appât quand une saucisse lui tombe sous le nez, il faut avoir comptabilisé un bon nombre de séances pour solidifier l’autre option (ne pas s’en saisir). 

 

Le comportement par défaut… à défaut d’éducation

Par essence, le comportement par défaut est un comportement qui est fréquemment utilisé par un chien lorsqu’il ne reçoit pas de directives précises de son propriétaire. La plupart des chiens se précipitent donc vers la porte quand la sonnette retentit, gobent un morceau de poulet s’il tombe de la table ou tirent en laisse pendant les balades.

Ils ont naturellement choisi l’attitude la plus intéressante selon eux, qui leur permet d’assouvir leurs besoins et émotions. Médor veut saluer les invités, Chipie raffole des restes en dehors de sa gamelle et Simba veut simplement aller plus vite, quitte à traîner un poids mort au bout de sa laisse. 

À cette conduite, on a tendance à répondre par des punitions verbales : “Non, ne saute pas sur mamie ! Non, pas toucher !”. Si elles ne suffisent pas, on passe aux sanctions physiques : coups de laisse, poussée ou tapes sur le nez. 

Il est pourtant malheureux de constater qu’à la place du chien, nous aurions réagi à l’identique. Faute d’éducation en amont, nos meilleurs amis font ce qui est le plus naturel pour eux. Souvent, cela s’oppose à nos bonnes mœurs humaines. Arrive donc à la rescousse l’éducation (évidemment positive) pour aider ce gentil Fido à faire de meilleurs choix. En préparant le terrain, on évite le recours aux réprimandes qui ne vont souvent que crescendo.

Milles intérêts aux comportements par défaut

Lorsqu’on comprend les énormes avantages à travailler cette fondation, on ne s’en passe plus. Voici, rien que chez nous, quelques utilisations que nous avons pu mettre en place.

 

Situation : la porte d’entrée s’ouvre

Comportement par défaut : arrêt au seuil 

 

Situation : Arrêt court pendant une balade

Comportement par défaut : Attente en bout de laisse voir assis

 

Situation : Arrêt long (appel, conversation, pique-nique, resto…)

Comportement par défaut : Le chien se met en relax (un article pour l’apprendre)

 

Situation : De la nourriture est au sol

Comportement par défaut : refus d’appât automatique (un article pour l’apprendre)

 

Bien sûr, il est aisé de se dire qu’on retire toute âme au chien. C’est bien mal penser qu’on utilise les comportements par défaut uniquement pour transformer Lassie en bon petit soldat. Ils permettent au contraire d’offrir plus de liberté à nos chiens car nous pouvons avoir confiance en eux. Voyez plutôt : 

 

Situation : Croisement d’un chien en balade

Comportement par défaut : Regard / revenir vers nous

 

Situation : Arrivée au bord d’un trottoir

Comportement par défaut : Arrêt assis ou debout, attente de la libération pour traverser

 

Les comportements par défaut sont d’ailleurs l’essence même de l’éducation pour les chiens guide ou d’assistance.

 

Situation : Un objet tombe

Comportement par défaut : Rapporter l’objet

 

Situation : Rythme cardiaque au-dessus de 100 bpm

Comportement par défaut : Alerte (tape du nez sur la cuisse par exemple)

(vidéo : Lucaslifethroughalens sur tiktok)

 

Et mille autres possibilités !

 

Votre chien a déjà un comportement par défaut

Peu importe son âge ou sa race, peu importe votre milieu social ou votre origine, je peux déjà trouver le comportement par défaut de votre chien avec un taux d’erreur à 1%. Et c’est…

Le assis !

Ce comportement est souvent le premier acquis, le plus demandé, le plus renforcé, celui qu’on utilise à la maison ou pour l’éducation… Il y a de fortes chances pour que votre chien propose assez naturellement ce comportement, dépendamment de son historique de renforcement. 

Traduction : si vous avez donné un bonbon 300 fois à Filou lorsqu’il posait son derrière au sol, il a eu 300 occasions de se dire “purée, faire ce truc est super cool !”.

Quand vous voulez donner une friandise spéciale, que demandez-vous ? Assis !

Quand des invités arrivent, que demandez-vous ? Assis !

Quand vous voulez faire une photo avec les copains, que demandez-vous ? Assis !

Et si vous êtes sympa, vous avez souligné l’action de félicitations. Assez naturellement, toutou a donc tendance à s’asseoir, même quand vous ne le demandez pas. Il vous regarde cuisiner, il mendie des câlins, il fait les yeux doux aux invités, il attend que vous tapiez ce SMS… Assis. 

 

Désamorcer la pensée “conditionner c’est robotiser le chien” 

En dehors du fait que nous avons déjà très largement parlé de ce sujet dans d’autres articles (« Le chien né pour obéir, une aberration » et « Conditionner c’est robotiser, ce mensonge dénué de sens« ), nous pouvons faire un parallèle facile avec l’humain. Notre vie entière est faite de comportements par défaut, forgés depuis l’enfance

  • Se brosser les dents avant le coucher
  • Mettre sa ceinture en montant en voiture
  • S’arrêter au feu rouge
  • Parler bas au cinéma ou dans un restaurant mondain 

Êtes-vous un robot dénué d’âme en effectuant ces actions ? Ou avez-vous acquis, au fil des années ou des répétitions, un comportement automatique déclenché par une situation spécifique ?

Peut-on reprocher l’apprentissage du assis au trottoir en comportement automatique alors qu’on trouve naturel d’exiger à des enfants de regarder à gauche puis à droite avant de traverser la rue ?

Pourquoi l’un est-il avilissant et l’autre éducatif ?

 

Un atout majeur pour la rééducation

Dans le cadre d’un travail sur… à peu près n’importe quoi finalement, l’historique de comportements par défaut accélère grandement les progrès. Un chien qui a pour habitude de regarder son référent pour prendre des informations réitérera en cas de doute ou de stress. L’éducation générale, composée de fondations, constitue une boîte à outils pour chiens et humains. L’un se connectera naturellement, cherchant l’aide de son humain. L’autre utilisera ses compétences pour gérer une situation compliquée, pour négocier un croisement difficile ou calmer son compagnon après une altercation. 

Nos élèves issus de la formation Mission Rappel utilisent d’ailleurs très largement les exercices dans divers contextes. Un “va et viens” pour occuper Fido quand un chien très réactif passe en hurlant au bout de sa laisse.. Un “velcro” pour laisser passer des vélos… Un “cherche” pour faire retomber la tension.. Une “main cible” ou pour les plus avancés, un “distributeur” pour focaliser l’attention de Taïko…  (→ voir les témoignages

La rééducation n’a pas besoin d’être rébarbative. Pourquoi ne pas rendre le chien actif dans son apprentissage ? C’est le dernier point que nous allons aborder.

 

Le chien, maître de ses choix

Étroitement lié au concept des autocontrôles, le comportement par défaut veut rendre le chien autonome. Armé d’un historique de renforcement, son pouvoir de décision augmente à chaque situation. Pour les chiens habitués au relax, se poser dans le calme devient une seconde nature. Qu’il s’agisse de la maison, d’un restaurant ou d’un arrêt au club canin, le couché et la baisse d’excitation deviennent des réflexes. Dans la mesure où il s’agit d’un comportement par défaut et non d’un ordre direct, le chien est libre de décider : préfère-t-il regarder les canards sur le lac, debout en bout de laisse ? Ou se poser à côté de son humain (tout en regardant la même scène) ?

Les deux options, tout à fait correctes, sont égales. L’une est simplement renforcée régulièrement, et l’autre pas.

Si à nos yeux d’humains, le “relax” n’est qu’un couché, sa pratique régulière forme des racines en profondeur. Le chien est plus calme, gère mieux ses émotions et éprouve peu sinon pas de frustration. Un chien qui s’arrête aux trottoirs, revient vers son humain quand il aperçoit un congénère et le regarde en cas de doute bénéficie d’une liberté quasi totale en toutes situations. À l’opposé, celui qui, d’après ses propriétaires, n’est pas “robotisé” garde sa laisse ou sa longe, car on continue de prendre les décisions pour lui. 

 

Apprendre un comportement par défaut, c’est facile !

Rien de plus simple que d’avoir un chien qui nous regarde en cas de doute. Comme tous les comportements par défaut, qu’il s’agisse d’un arrêt au trottoir ou du relax (dont vous avez la méthodologie de travail ici) le système est le même.

Pendant un temps, on met une priorité sur ce travail. On va donc façonner le comportement désiré. Ici, le regard. Ainsi, Croquette est félicitée et récompensée quand elle croise notre regard. Au début, on récompense pour un contact visuel, même très bref. Ensuite, le renforçateur n’arrive qu’après une demi-seconde. Puis une entière. Enfin, on attend pour deux, trois ou quatre. Une fois la base bien solidifiée, le jeu est de chercher ce comportement dans toutes les situations. 

  • Pour le dîner : on prend la gamelle remplie en main, et on attend un regard (on ATTEND, on ne le demande pas !)
  • Pour les sorties : main sur la porte et chien en laisse, on attend le regard
  • Pour les jeux : balle dans la main, on attend le regard
  • Avant une balade collective : copains en vue mais encore très loin, on s’arrête et on attend le regard
  • Avant de donner une friandise à mâcher : devinez ? On attend le regard !

Bref, on essaie d’intégrer cette action avant tout ce que le chien désire faire ou avoir. Le challenge est de monter graduellement la difficulté. Pour la plupart des chiens, le regard sera facile à obtenir avant la gamelle, mais très dur avec des copains en vue. Gardez donc les gros défis pour la fin de l’apprentissage. Continuez de récompenser pendant les prochains mois, et passez-vous de vos aides (laisse, croquette en main, etc…) 

A terme, sans préparation et sans renforçateur, toutou pratiquera ce comportement comme s’il était né avec. 

 

Offrez plus de liberté à votre chien

Au final, la plupart des choses qui vous tiennent à cœur peuvent devenir un automatisme. Dans l’équipe Cynotopia, nous baladons parfois 6 à 8 chiens libres en même temps, et la vision d’un congénère fait revenir tout le monde. Pas besoin de hurler chaque nom, ou de courir les rattraper… Cela nous permet de demander au duo si les chiens peuvent se rencontrer. Cette base essentielle du savoir-vivre éviterait bien des aggravations de réactivité par absence de gestion de la part des humains !

Cependant, les comportements par défaut peuvent être difficiles à changer une fois qu’ils ont été adoptés. Il est donc important d’y réfléchir au préalable. Automatiser le assis sera un problème pour un chien d’exposition, où le comportement préféré aurait dû être le debout en statique. Le contact visuel très renforcé pourrait gérer le futur chien d’agility ou de berger, qui devrait pouvoir travailler sans regarder son humain. En revanche, le “au pied” automatique sera du pain béni pour les pratiquants d’obéissance en compétition !

Amusez-vous et apprenez des choses utiles qui permettront de laisser plus de liberté à votre meilleur ami.