Les autocontrôles : torture psychologique ?

Décrits comme la solution miracle ou comme un calvaire émotionnel qu’on fait subir au chien, les autocontrôles font parler. Derrière les posts, les articles et les diaporamas, on trouve une opposition des idées… Mais surtout, beaucoup de bêtises. Et si on s’attardait ensemble sur le sujet ?

Le travail du self control permet au chien de ne pas répondre immédiatement à ses instincts primaires (manger le cadavre au sol, pourchasser un jogger…). Les autocontrôles permettent cette seconde de réflexion qui peut faire la différence entre un rappel réussi ou raté, mais aussi solidifier chaque petit comportement demandé.

 

C’est quoi l’autocontrôle chez le chien ?

On a tous une vague idée de la signification du mot – Il faut dire qu’il n’est pas bien compliqué ! Contraction entre “auto” (soi-même) et “contrôle”, autocontrôle (self control en anglais) est défini comme le « contrôle de soi-même, de ses émotions et de ses pulsions (ex : il montrait une admirable maîtrise de lui-même bien qu’il fut en colère) ». Il est donc synonyme de « maîtrise de soi ».

Bref tout ce charabia pour une certitude : c’est la capacité à s’auto-gérer. On l’apprend aux enfants, quand ils doivent modérer une frustration, comme ne pas acheter un jouet au supermarché. Nous la pratiquons aussi au quotidien, en essayant de ne pas stresser pour un examen, ou en passant devant une boulangerie sans acheter 36 viennoiseries. 

L’autocontrôle s’oppose donc au contrôle, c’est-à-dire une pression extérieure, physique ou émotionnelle. Comme un parent qui vous interdit de pleurer ou l’institutrice refusant de vous laisser aller aux toilettes. 

 

Contrôle et autocontrôles, barbarie à tous les étages

Il serait facile de caricaturer les deux partis. Oh, le contrôle c’est mal parce qu’on dit quoi faire au chien.. L’autocontrôle est mieux parce qu’il a le pouvoir de décision… Certes, pourtant on passerait à côté du plus important. Les deux peuvent être utilisés avec bienveillance, ou pas.

Avec une laisse ou une longe, vous contrôlez le périmètre alloué à votre chien pendant une balade. Il n’a pas le choix, il doit obligatoirement rester à deux mètres de vous. Mais elles le protègent des voitures ! Les visites vétérinaires sont souvent négatives pour Rex, elles vont de pair avec un rappel de vaccin. S’il le pouvait, il ne le ferait pas ! Cependant, la vilaine piqûre lui évite des maladies bien plus graves que cette gêne ponctuelle.

En apprenant au chien à se contrôler, on lui permet de ne pas réagir par impulsions. Il est donc aisé de lui demander de laisser un aliment empoisonné au sol. Facile aussi, d’abuser de sa tolérance en empilant les tranches de jambon sur sa tête… Ainsi, tout comme n’importe quel outil physique, on peut user l’un et l’autre en bien comme en mal

 

La frustration, facteur d’agression

Les autocontrôles ont pour but direct de lutter contre la frustration. Cette dernière a été longuement étudiée sur les humains. Leur but ? Venir en aide aux enfants et adolescents avec une très faible tolérance à la frustration. Si les causes en sont multiples, les conséquences sont bien connues. Un enfant qui gère mal ce sentiment sera plus sujet aux épisodes dépressifs et anxieux. De ces études ressort un point commun : c’est le sentiment de n’avoir aucun pouvoir qui déclenche la frustration. Elle peut aller de l’inconfort à une déferlante de rage, altérant comportement et cognition. Cette dernière partie est souvent liée aux agressions de redirection

Il existe quantité de moyens pour gérer la frustration chez le chien avant qu’elle ne mène à l’attaque. Les protocoles vont se différencier selon la fonction du comportement et sa cause. On ne traitera pas une anxiété de séparation comme on le ferait avec chien qui tire en laisse. Néanmoins, humains comme chiens bénéficient tous d’un travail en amont pour créer une résilience à la frustration. Apprendre à un chien que la nourriture sur la table n’est pas accessible et ne le sera jamais en renforçant des comportements alternatifs (couché sur un panier juste à côté) aura un impact sur tous les autres aspects de sa vie. Les problèmes rencontrés seront abordés avec des solutions apprises. Le chien qui s’assoit avant de manger sa gamelle posera instinctivement ses fesses au sol quand il voudra débloquer une situation.

 

L’utilité des autocontrôles dans la vie quotidienne

Je suis une fervente amoureuse de l’éducation utile. Et une feignasse aussi. Alors mettre la poubelle en hauteur tous les jours, bloquer la porte d’entrée quand le facteur me livre un colis pour éviter que 6 chiens n’en jaillissent, scanner le trottoir pour voir le McDo écrasé par terre avant eux, ne pas pouvoir poser mon repas sur la table basse si je veux aller aux toilettes après… Ce n’est pas pour moi ! 

Apprendre à son chien à se contrôler n’est utile que si on s’en sert. Mes chiens ont pour vocation de vivre libres, partout. Se balader avec plusieurs toutous sans peur qu’un chevreuil débarque et entraîne la meute, c’est apaisant… Quand les chiens se retournent tous vers moi, les oreilles en avant et la queue battante, je sais qu’ils ont vu un truc et moi non. Vivre sans avoir à gérer continuellement les réactions de son chien, c’est reposant. Et ça, on le doit aux autocontrôles. 

 

L’apprentissage des autocontrôles

Passons au cœur du sujet. Le chien vit-il un intense désespoir pendant qu’il résiste à son bol de croquettes ? 

Voyons comment l’apprentissage des auto-contrôles se déroule. Il existe aujourd’hui deux façons principales de faire. La première est la plus connue et donne des résultats rapides. La seconde se veut plus respectueuse. Les deux arrivent à la même finalité : le chien ne prend pas la nourriture dans notre main. C’est ce qu’on appelle le leurre inversé.

 

IYC (it’s your choice) 

Assis face au chien, des friandises dans une main fermée, on la présente au chien. Tant qu’il essaie de prendre de force (lèche, mordille, griffe) le poing reste clos. Dès qu’il se détourne, s’arrête ou attend, on récompense avec l’autre main. Au fil des succès, lorsque le chien reste immobile, on ouvre le poing (et le referme aussitôt si le chien bouge). On pourra ainsi le récompenser en prenant des croquettes dans la paume de la première main. C’est très confus comme ça, la vidéo est bien plus parlante !

Cet exercice est extrêmement apprécié parce qu’il donne des résultats très vite. En tant qu’éducateur, on le propose en séance et les clients sont toujours émerveillés de voir que leur chien est capable de self-control aussi vite. Cela donne de l’espoir et permet d’avancer très vite avec un minimum de frustration.

Cependant, il y en a bien, de la frustration. Il faut attendre un petit moment avant que le chien comprenne le jeu. Émotionnellement, c’est moyen… C’est pour cela que la seconde méthode a été développée. 

 

CTI (can’t take it)

Le CTI (faute de nom trouvé pour cette méthode) se base sur l’apprentissage sans erreurs. Si le chien ne peut pas manifester le mauvais comportement (prendre la nourriture de lui-même) il n’y a pas de problème. On tient donc un pot de friandises en hauteur, et on les distribue au chien. Petit à petit, on descend ce dernier, tout en renforçant pour l’immobilité (ou le calme). Si le chien bouge, le pot se relève, mais on attend aucun comportement spécifique pour récompenser (contrairement au rituel du repas dans mission rappel par exemple). 

Bien plus apaisant, cet exercice permet d’éviter toute frustration. Si le chien saute, on doit juste récompenser assez vite dès le début pour éviter le mauvais comportement. Pas d’essais-erreurs, pas de frustration, d’excitation. Le chien attend et il est récompensé, jusqu’à ce que la nourriture soit à son niveau.

Si l’exercice est efficace, il ne convainc pas entièrement. Il y a peu de processus de réflexion derrière, on attend ni un assis, ni un regard, le but est de donner les friandises sur un haut rythme pour éviter les comportements annexes. Dommage de passer à côté d’un exercice où le chien peut être acteur de son apprentissage. En revanche, l’absence certaine de frustration peut être louée. Certains chiens sensibles ou très excitables auront de meilleurs résultats avec le CTI.

(Bonus communication, dans les deux vidéos, on peut noter beaucoup de coups de langue, trop souvent associés sans contextualisation à du stress. Regardez bien les mouvements de la mâchoire et de déglutition avant de tirer votre conclusion ! Quid de l’impatience ? Ce thème fait partie d’un des premiers chapitres de notre Dico des Signaux

 

La progression dans la vie courante

Le self control doit ensuite être généralisé. Le simple exercice fondateur n’a aucun intérêt en lui-même, ce sont les bases qu’il pose qui offrent ensuite tout un panel d’opportunités. Ceux qui ont pratiqué le “It’s your choice” ont souvent suivi la progression de l’exercice : les croquettes sont dans la main fermée, puis ouverte. Ensuite on les pose au sol, la main les recouvrant, puis on retire cette dernière. Enfin, on marche à côté du renforçateur en récompensant Milou pour faire le bon choix. C’est le protocole décrit dans notre article sur le refus d’appât en positif

Malheureusement, ces petits exercices sont trop souvent considérés comme un trick. On les apprend et une fois la dernière étape maîtrisée, on oublie d’entretenir. C’est ce qui donne le fameux “mon chien sait le faire quand je suis à côté, mais pas à distance”. Eh oui, la pratique des autocontrôles se travaille aussi avec les 3D !

En transposant la pratique du self control au quotidien, on peut apprendre à un chiot à ne pas se servir sur une table basse, à rester paisible pendant que des chiens jouent à côté, à attendre le signal libérateur pour passer une porte, ou même à faire confiance à son humain plutôt que de céder à la peur. 

 

Les autocontrôles, pas si loin que ça des soins coopératifs

Il est facile d’associer les autocontrôles au besoin de pouvoir anthropocentré. La critique s’écrit toute seule, à grands cris de “conditionnement abusif” de “robotisation” sans oublier “dénaturer son chien”. Pour autant, le medical training est l’avènement d’une ère de bienveillance où le chien est au centre de la décision. Il est très encourageant de voir combien les émotions de notre meilleur ami sont respectées. On veut collaborer avec lui et non le contraindre. Cependant, au fil de tous ces progrès, les autocontrôles, eux n’ont pas disparu, pour apprendre à Médor à poser sa tête sur un tabouret ou se mettre sur le flanc… Il faut conditionner.

Ainsi, dans un cadre comme dans l’autre, il est essentiel d’apprendre un comportement standard (qu’il s’agisse de rester  couché pendant la taille des griffes, ou diriger son regard vers le référent au lieu de dévorer une friandise trouvée par terre). Ensuite, les chemins divergent. Mais tout comme on peut aller jusqu’à l’abus en frustrant intensément un chien, on peut très bien forcer Gaïa à rester sur le flanc pour couper la dernière griffe, alors qu’elle essaie clairement d’échapper à la situation.

Tout est affaire de mesure, et bien sûr, d’éthique. 

 

Les chiens adorent ce jeu du “es-tu capable de faire ça ?”

Dans cet esprit, les amateurs de sports cynophiles connaissent bien ce rituel, qui termine l’apprentissage d’un nouveau comportement. En obéissance, en agility ou en dog dancing, il faut bien confirmer que Iron a parfaitement intégré l’exercice. On joue donc à un jeu, qui se résume ainsi :

“Est-ce que tu peux faire ____ si je fais _____ ?” 

  • En obéissance : “Est-ce que tu peux rester assis à 20m si je pars en courant ?” 
  • En agility : “Est-ce que tu peux faire le slalom si je t’envoie de l’autre bout du terrain ?”
  • En dog dancing : “Est-ce que tu peux tourner vers la droite si je fais un mouvement vers la gauche ?”

Cette étape s’appelle le “proofing”. Et pour beaucoup, elle se base sur une compréhension profonde de l’exercice, et s’appuie sur les bases des autocontrôles !

Ci-dessous : “est-ce que tu peux enchaîner les tricks avec un renforçateur sous le nez ?”

Mené correctement, le proofing doit être un ping-pong entre le chien et l’humain. Si toutou échoue, alors notre rôle est de faire plus simple tout en maintenant la motivation. Tout n’est que jeu, menés de petits challenges qui ne visent absolument pas à “tester” et corriger les échecs, mais bien globaliser une connaissance sans l’affaiblir par des ratés.

On est donc bien loin d’une torture mentale imposée par l’humain et subie par le chien. 

 

Rééducation et compétences fines

L’humain restreint très naturellement son champ de pensées. Nous tous avons tendance à supposer naturellement que “si personne ne l’a fait, c’est impossible”. Prenons l’exemple de la course. Avant 1967, notre société était assez stupide (et profondément machiste) pour penser qu’une femme ne pouvait PAS courir un marathon. Biologiquement, c’était impossible. Il aura fallu attendre Kathrine Switzer pour courir celui de Boston et ouvrir (un peu) les esprits de l’époque. L’histoire est pavée de ces persuasions humaines : la plongée jusqu’à un certain palier, le saut en hauteur jusqu’à un certain mètre… Et années après années, des athlètes ont prouvé que ces persuasions étaient infondées.

Il en est de même pour les performances de votre chien. Vous ignorez à quel point il est capable d’accomplir des choses extraordinaires – il faut juste lui laisser l’occasion de le faire.

 

Pouvez-vous imaginer que des centaines d’élèves de Cynotopia Academy ont appris à leur chien à rester sur les trottoirs, même s’ils lancaient une balle ou s’il y avait de la viande sur la route ? Que des chiens peureux ou agressifs ont pu maîtriser leurs émotions primaires et faire confiance à leur référent pour gérer leur zone de confort, et peu à peu pouvoir les lâcher sans fuites ou agressions ? Qu’on peut apprendre à un chien à porter de la nourriture sans la manger ? A s’arrêter même en pleine course après une balle ?

Surtout, regardez bien l’expression de ces chiens. Observez leurs oreilles, leurs postures, leur attitude. Ont-ils l’air brimés, effrayés, sous pression ? Ou… De prendre part à un jeu ?

 

La frustration fait partie de la vie

Quand on amène un chiot chez soi, qu’on le veuille ou non, on le plonge dans un bain de frustrations. Ne mordille pas ça, ne déchire pas ceci, ne va pas là-bas, ne ramasse pas ce truc, fais pipi ici, laisse tranquille ce chien… A l’âge adulte, si le quotidien a pris sa place, on y retrouve les mêmes aspects. Ne va pas sur la route, ne creuse pas ici, ne rentre pas chez le voisin, ne mange pas sur la table, n’aboie pas, ne saute pas… Si notre mode d’éducation bienveillant nous fait heureusement voir la chose sous les termes de “fais ceci plutôt que cela” les interdictions restent des interdictions. Le jouet qu’on secoue devant bébé chien ne le dissuade pas toujours de défoncer la télécommande. 

Les rappels, remises en laisse, et l’éducation en général sont autant de règles que nous posons pour la sécurité de notre ami (empoisonnement, accident sur la route) ou notre confort (50kg qui tirent en laisse, c’est moyennement agréable). Tout cela rentre en contradiction avec ce que souhaite le chien. On ne peut le faire vivre sans. Il est donc nécessaire de l’aider à évoluer dans notre société humaine, avec une éducation respectueuse qui certes, l’empêchera de faire ce qu’il veut à tout moment, mais l’aidera à construire sa résilience.

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