L’éducation positive consiste à récompenser les bons comportements, tout en “ignorant” les mauvais. Cette définition, simpliste, la condamne à être vue comme une méthode laxiste ne sachant rien proposer d’autres que bourrer son chien de friandises. Cette récompense, plus que toutes les autres, bloque beaucoup de gens qui aimeraient passer à l’éducation positive. Comment se faire aimer de son chien sincèrement si nous passons notre vie à le soudoyer ? Comment espérer un jour, ne plus avoir les poches pleines de saucisses ? Peut-on réellement attendre quelque chose d’un chien gâté toute sa vie à coup de jambon ?
La récompense alimentaire annihile automatiquement toute admiration. Les gens ravalent leurs bravos lorsqu’ils voient l’humain sortir une friandise après une démonstration de tricks. La complicité entre eux semble tout à coup factice. Notre meilleur ami devrait agir de manière désintéressée. Nous lui offrons le gîte et le couvert, il nous doit l’obéissance aveugle. La réalité est pourtant toute autre, sans être plus laide. Toutou a besoin d’une motivation, d’un salaire. Si la récompense “jeu” ou sociale est plus facilement acceptée, celle alimentaire, constitue un véritable blocage. Il existe pourtant tout un processus pour que notre meilleur ami travaille réellement avec nous par plaisir.
La haine de la récompense alimentaire
Il y a plusieurs milliers d’années, l’homme apprivoisait le chien. Si le partenariat était superficiel au début, il s’est ensuite complexifié. Des films tels que Lassie ou Benji vantent une évolution utopique de notre relation avec notre boule de poils. Les chiens sont des êtres désintéressés qui ne vivent que pour leur humain. Ils sont prêts à tout sacrifier pour ses beaux yeux, au point selon l’adage, “d’aimer l’homme plus que lui-même”. D’ailleurs, bon nombre de citations de ce genre ne font qu’alimenter l’idée qu’un toutou n’attend rien d’autre que le logis, la nourriture et la tendresse de son référent bipède.
Difficile dès lors, d’imaginer la sublime complicité de Belle et de Sébastien entachée par des morceaux de jambon. La Patou n’a aucun intérêt pour son environnement, les odeurs n’attirent pas sa truffe aiguisée et ses congénères ne l’interpellent pas. Chaque rappel est naturel. Pourtant, ses actions humanisées comme recouvrir tendrement son humain avec une couverture sont toutes apprises. Les chiens de cinéma éthiquement éduqués ont tous été “dressés à la friandise”, jusqu’à être capables de faire sans, afin de refléter cette image idéale d’une relation entre un humain et son chien.
Nous avons besoin de croire que Fido peut nous apporter ce que les autres humains refusent de nous donner. Un amour inconditionnel sans retour, sans échange d’argent et ici, alimentaire. Si le jouet ne représentant aucun enjeu pour nous est vaguement toléré, la nourriture est considérée comme une tricherie. La baballe représente un moment de partage positif, la joie et les rires, elle est durable. Toutou nous la rend et nous pouvons la relancer. Nous conservons ainsi le contrôle sur l’échange, démontrant que Fido est capable de renoncer à sa récompense pour continuer à travailler. La caresse ou la récompense vocale émanant directement de nous prouvent que Sultan se satisfait de notre seule présence. Il valorise notre approbation.
En revanche, la saucisse, rapidement distribuée, laisse penser à un simple pot-de-vin. Nous puisons dans nos réserves, soustrayant de notre frigidaire une récompense éphémère qu’il faudra réapprovisionner. Nous achetons littéralement le “assis” à notre meilleur ami. De plus, si les chiens ne jouent pas avec tout le monde, ils acceptent plus facilement les friandises de la part d’inconnus. Qu’est-ce qui différencie le voisin que Fido adore pour ses biscuits de son propre référent ?
L’idée ne fait pas rêver, moins en tout cas que celle du chien qui anticipe nos désirs, répond humainement à nos chagrins. Difficile d’accepter que notre boule de poils est un être opportuniste, mû par ses instincts. Pourtant, sans cet individualisme, il n’aurait sans doute pas survécu, incapable de respecter ses propres besoins primaires. Dans ce monde porté vers la correction plutôt que le renforcement, la récompense ne nous paraît pas naturelle. Cependant, lorsque l’on creuse un peu plus, nous nous apercevons que nous aussi, les humains, nous sommes des adeptes de l’éducation positive. C’est elle qui nous aide à forger des expériences agréables et à nous faire aller de l’avant.
Un monde pas si coercitif que ça
Avant même que l’éducation positive n’émerge, certains réflexes existaient déjà dans notre monde d’humains. Un enfant qui travaille à l’école pour gagner des “bons points” ne le fait pas pour les jolis yeux de sa maîtresse. Du moins, pas totalement. Il agit d’abord dans son propre intérêt et tant que les résultats sont là, personne ne s’en préoccupe. Nous savons que ce type de récompenses sera naturellement transférée au simple plaisir de rendre les adultes fiers ou de réussir dans la vie plus tard.
Les parents ne se posent pas la question de savoir quand est-ce qu’ils cesseront de s’émerveiller devant un bébé qui fait ses premiers pas, ou d’agiter un hochet pour justement l’encourager à le faire. L’évolution est naturelle, parce que l’être humain apprend à se raccrocher à d’autres motivateurs. Adultes, notre principale récompense est l’argent, mais cela ne nous empêche pas d’apprécier les félicitations d’un patron estimé. D’ailleurs, de nombreuses personnes quittent leur emploi parce que les billets verts ne sont pas une récompense suffisante. Ils exigent aussi à juste titre, le respect. L’argent n’est que le premier attrait, celui qui valorise les félicitations orales.
Après quelques années à travailler dans une entreprise qui vous traite correctement, vous aurez moins de mal à accepter de faire des heures supplémentaires (souvent payées mais parfois gratuites). Le premier contact positif, établi par le biais du salaire a évolué. Pourquoi n’en serait-il pas de même avec la friandise ?
“Appâter” votre futur employé en agility avec de beaux morceaux de viande n’est pas un échec, c’est un premier jet, le début d’une relation qui s’établit et qui est vouée à évoluer. D’ailleurs, si le chien ne travaillait que pour son “argent alimentaire”, l’éducation serait facile. Un bout de bœuf et hop, Titus oublie ses congénères. Malheureusement, beaucoup de gens qui font appel à nous pour des problèmes de comportement utilisaient déjà des friandises. Être un distributeur est aisé. Savoir récompenser au bon moment, de la bonne manière à travers des petits jeux favorisant la relation du duo s’apprend. La friandise n’est pas une finalité, c’est un outil au service de l’homme et du chien.
La récompense alimentaire n’empêche pas la complicité. Elle souligne notre contentement lorsque le chien est sur la bonne voie. Intelligemment distribuée, elle récompense des tâches ponctuelles que notre chien effectue en-dehors de cette fameuse collaboration naturelle “gîte et couvert contre présence et affection”.
Si nous les humains, avons besoin de “bons points” pour avoir envie d’évoluer, de billets verts pour aller au travail, les chiens aussi. La paie n’empêche pas ni n’entache l’amitié.
La récompense alimentaire permet au chien d’apprendre à apprécier d’autres types de renforcement (les caresses par exemple). Cette dernière, précédent l’arrivée de la friandise devient la promesse de quelque chose de positif. Au fur et à mesure, Fido en viendra à considérer les félicitations comme une récompense en soi, et l’on pourra se passer de la friandise. C’est d’ailleurs ainsi que de grands noms de l’éducation positive sont parvenus à gagner les premières places après des enchaînements tricks de plus de dix minutes sans la moindre récompense alimentaire.
Quand on impose la caresse ou toute autre récompense peu appréciée de base par le concerné (essayez de féliciter un enfant avec une assiette d’épinards), celle-ci devient un simple soulagement. Le chien sait qu’il a bien agi et qu’il n’a pas à craindre pire. Il n’est pas motivé par l’envie de réussir, sinon la peur de mal faire.
La dépendance à la pochette à friandises
L’un des arguments récurrents contre la récompense alimentaire est que, dépendant d’un élément externe, l’humain n’est jamais vraiment libre. S’il oublie sa sacoche, Toutou le remarque et cesse d’obéir. Quel intérêt de continuer à proposer des assis sans sa paye favorite ?
Cette justification serait fondée si l’adepte d’éducation positive était condamné à recourir ad vitam eternam à la nourriture pour travailler avec son chien. Le but, pourtant, est d’évoluer jusqu’à varier les sources de salaires pour Fido, oscillant entre le jeu, les félicitations vocales, la récompense sociale ou environnementale. De grands noms tels qu’Anastasiia Beaumont en Dog Dancing ou Susan Garrett en Agility ont démontré qu’un chien “dressé à la friandise” est tout à fait capable de s’en passer. Puisque la nourriture est interdite sur le terrain, comment leur boule de poil a-t-elle fini première ? La réponse est simple, quoique souvent ignorée par les principaux détracteurs de la méthode bienveillante : la nourriture n’est qu’un pont. Un lien entre le début de l’apprentissage et l’objectif final.
Bien enseigné, un comportement peut être exécuté partout, n’importe quand sans que le chien ne soit dépendant d’un outil. C’est d’ailleurs sans doute ce que vendent les adeptes de l’éducation coercitive. L’idée de laisser un collier électrique à son chien ne traverse l’esprit de personne. Qui se résoudrait à dépendre pour toujours d’une télécommande susceptible de se décharger ou de se casser ? Si la promesse est de conditionner Fido à obéir même sans son arsenal, pourquoi est-ce si difficile d’imaginer que Rex pourra un jour se passer de la friandise ?
Quand un chien dispose de plusieurs sources positives pour valoriser son travail, il devient ce fameux “Benji” dont tout le monde rêve. Un compagnon bien dans ses pattes, capable de nous suivre partout, d’exécuter de merveilleux tricks et de s’amuser réellement en le faisant. Le chemin parcouru pour y parvenir n’a plus d’importance : entre le chien fictif qui agit par pur amour, et celui bien réel qui éduqué et valorisé, quelle différence ? La récompense alimentaire ne devrait pas être plus tabou que notre salaire à chaque fin de mois. Nous ne devrions pas exiger d’heures supplémentaires à notre complice avant d’avoir pris le temps de créer un lien de confiance avec lui. Nous nous devons naturellement de le convaincre qu’il sera heureux de faire telle activité à nos côtés avant d’apprendre à l’apprécier intrinsèquement.
D’ailleurs, même en fin de parcours, n’oubliez pas de continuer à récompenser votre compagnon de temps à autre avec des friandises. Allez en concours et voyez comment travaillent les grands champions en coulisse. Ils ne se posent pas de question, ne craignent nullement que leur chien soit vicié par un bout de saucisse et récompensent allègrement ce dernier. Trouvez-vous que ces animaux agissent uniquement par amour de la friandise, ou laissez-vous porter par la vision de rêve d’un duo en pleine communion ? Tout semble si simple, ils se comprennent parfaitement, suivent une chorégraphie endiablée à la seconde près. N’est-ce pas la preuve que la friandise favorise l’amour de l’apprentissage et nourrit la complicité ?
Si quelqu’un vous raille un jour avec cette fameuse phrase “ah mais aussi tu lui donnes des friandises, c’est simple”, approchez vous avec un grand sourire, tendez-lui un bout de jambon et dites-lui de faire pareil avec son chien. Le résultat ne sera sans doute pas celui escompté.