Tricks et rééducation : pansement trompeur ou solution durable

Si je vous disais qu’un “fais le beau” rentrait dans le programme de rééducation d’un chien réactif, vous seriez surpris ? Normal… Ou pas tant que cela, à en croire la mode qui s’installe depuis quelques temps.

Et oui, dans la lignée de l’apprentissage en priorité du assis, couché, pas bouger pour gérer tant bien que mal son chien, une méthode émerge : utiliser des tricks comme outils de rééducation. Il est vrai que ces petits mouvements amusants comme donne la patte ou roule sont moins militaires que le assis exigé le temps qu’un congénère passe. C’est rafraîchissant, positif, ça donne une ambiance beaucoup plus sympa à la séance, en plus d’être renforçateur.

Évidemment, on se dit facilement que Toutou a progressé puisqu’il a enchaîné des tricks (fait le beau, tourne, slalom) devant un public souvent ravi. Il n’a pas (trop) réagi, enfermé dans sa bulle avec son humain. En revanche, voir les avancées quand on est resté à 100 m de l’entrée du magasin, pour récompenser de simples regards, c’est moins convaincant (et moins glamour).

Pour rendre justice aux adeptes de cette technique : elle est quand même salvatrice à certains moments. Quand on ne peut pas sortir, à cause d’une réunion ou autre, détourner l’attention du chien peut l’aider à passer outre ses peurs. En effet, notre meilleur ami est incapable de se concentrer sur deux choses à la fois. L’esprit occupé, ses inquiétudes se diluent.

D’ailleurs, en pansement, nous conseillons nous-même quelques exercices pour détourner l’attention de Filou, ou l’aider à récupérer après une rencontre difficile. Cependant, comme nous allons le voir, tous les exercices de détournements ne sont pas égaux. Demander un « donne la patte », ce n’est pas la même chose que d’organiser une fouille olfactive ou d’attirer notre chien avec un mouvement vers l’arrière.

On sait aujourd’hui qu’exiger un assis ou un coucher à un réactif pour laisser passer ses congénères est délétère. Bien qu’ils paraissent moins stricts, les tours destinés à occuper Fido ne valent pas mieux.

Un remède pire que la maladie

Si cela nous permet de pallier une situation urgente, détourner l’attention du chien ne doit pas devenir une technique de rééducation. D’autant plus que les tricks, énergivores de nature, sont un pansement beaucoup moins fiable. Le chien doit écouter une commande, dans un milieu déjà effrayant. En s’exécutant, il quitte souvent sa zone de confort et se retrouve encore plus près de son déclencheur.

Imaginez que l’on demande au chien peureux de faire un slalom dans un grand magasin. L’animal vous quitte des yeux, (re)prenant ainsi conscience de ce qui l’entoure. Il s’aperçoit que ses mouvements l’ont rapproché de ce qui l’effraie. La perte spatiale et visuelle de son repère (vous) le déconnecte. Selon les individus, la chute de confiance quasi inévitable débute dès la première séance ou prend quelques mois. Les tricks deviennent aversifs : le chien les associe à un milieu angoissant. Dans le pire, il supporte jusqu’à se jeter, désespéré, sur les passants qui le regardent.

Et oui, les tricks attirent souvent l’attention. C’est génial quand un duo s’amuse naturellement dans cette discipline. Je suis moi-même une adepte des tricks “à la sauvette”, exécutés partout, en attendant un train ou un coin de rue. Cela m’aide à me décomplexer, mon chien apprend à se concentrer partout et ça fait plaisir aux gens. Mais je veille à ce que mon binôme soit à l’aise ! Nous devons être deux à aimer cela, et mon partenaire n’a pas à se sacrifier pour moi. Attirer l’attention, donner envie au public de se rapprocher quand son meilleur ami a peur, c’est illogique. Le cocktail parfait pour déclencher une tentative du chien de préserver son espace à tout prix.

Dans Mission Rappel, nous proposons des fouilles olfactives, ou un petit vortex (attirer le chien sur nous grâce au mouvement en arrière) pour détourner Médor. Quand il est enseveli par ses émotions, le chien se recentre sur nous, avec un exercice très simple, qui lui demande d’utiliser une capacité naturellement apaisante (renifler), sans commande. Sachant cette situation très compliquée pour lui, nous n’exigeons aucune contrepartie et l’extirpons de la foule, notamment avec le vortex… Et surtout, nous faisons attention aux signaux de communication de notre chien. S’il n’est plus d’accord, nous quittons l’environnement anxiogène.

Une question de confiance

Jouons le jeu une seconde. Imaginons que faire des tricks en public fonctionne. Notre toutou, réactif humains voire chiens ne réagit pas, lancé dans sa démonstration. Génial mais, où sont les progrès ? Il ne fait pas face à sa peur, il ne la guérit pas. Il tolère… Encore et toujours, jusqu’au moment où il n’a pas envie de manger, que sa crainte devient trop forte. Dans ce cas, Médor n’a pas appris à compter sur son humain. Il a été conditionné pour restreindre, camoufler ses émotions, et non demander de l’aide.

Perdu dans ce monde où on l’a jeté pour répondre à nos besoins, le chien ne sait plus quoi faire. Il est incapable de lancer le moindre regard à son humain, n’ayant pas le réflexe d’agir ainsi. En revanche, un chien avec qui on a travaillé progressivement, en respectant ses capacités, aura l’historique nécessaire pour se retourner vers son référent. Cela devient un automatisme, un geste d’autant plus facile et évident. Il est doublement récompensé pour être parvenu à se détacher de ce qui l’effraie. On lui propose une délicieuse friandise et un échappatoire.

Je vous vois d’ici, vous allez me dire que certains ne prennent pas les friandises quand ils ont trop peur. C’est probablement parce que vous travaillez à un niveau trop difficile pour votre loulou. Si Kiki est littéralement terrifié par des chiens à 100 m, il ne faut pas espérer le voir manger à 50 m d’eux. On se déplace pour s’éloigner à 130 m. Avec Myrtille qui déteste juste les contacts, on peut se rapprocher davantage. Évidemment, il existe aussi des chiens très peu gourmands. Dans ce cas, on opte pour d’autres renforçateurs comme les jouets, la voix, l’environnement et encore bien d’autres.

La distance, dans cette rééducation, est un point clé. En délimitant, en respectant, puis en grignotant doucement la zone de confort de notre chien, nous l’invitons à regarder son déclencheur. Il peut le fixer à son aise, de loin, et comprendre que ce dernier ne lui fera rien, voire mieux, lui rapportera des friandises. Vous qui êtes peut-être arachnophobe, opteriez-vous pour une thérapie où vous dansez parmi vos pires ennemis pour oublier leur existence, ou préféreriez-vous y aller doucement ?

Dans un premier lieu, votre psychologue vous passerait un documentaire, prouvant qu’elles ne sont pas dangereuses, puis il vous montrerait de minuscules spécimens soigneusement enfermés, et vous féliciterait dès que vous en regardez un, une seconde…

Petit à petit, vous en viendriez peut-être à en toucher un, car vous avez appris à les connaître, puis les regarder, puis qui sait, à les apprécier. Votre collègue ayant choisi de danser au milieu d’elles n’aura toujours pas évolué, pire, il pourrait avoir régressé après avoir trop supporté.

Cela vous semble horrible ? Imaginez qu’en plus, on trompe généralement le chien pendant ces séances. On l’immerge dans le magasin, sans le laisser voir les humains qui arrivent autour. Autrement dit, on ne lui dit pas s’il va y avoir des araignées, ni combien, ni quand. Avouez que c’est encore plus angoissant que la phobie originale.

Un travail progressif pour un résultat sûr

La plupart des gens qui emploient cette méthode sont bien intentionnés. Ils pensent que la passion prend le dessus, que le chien adore travailler (et c’est probablement vrai !), au point d’en effacer la peur. Malheureusement, quand celle-ci redevient la priorité, les conséquences peuvent être dramatiques.

C’est un peu comme supporter un enfant agaçant qui enfonce son doigt dans votre joue lors d’un repas de famille. Au début, vous tolérez, parce que c’est un tout-petit, et que vous ne souhaitez pas faire honte à vos proches. Au fur et à mesure des retrouvailles, à chaque occasion, anniversaires, événements etc, vous anticipez la venue du bambin. Dès les premières secondes, il vous insupporte, sa simple approche vous hérisse.

Plus la situation perdure, plus il y a de chances pour qu’un jour, vous explosiez. Qu’à son simple “bonjour”, vous lui mettiez une gifle monumentale et que tout le monde s’en étonne “Mais je ne comprends pas, toi qui aimes tant les enfants”. Et encore, l’exemple n’est pas des plus justes, puisqu’avec un chien réactif, il faut ajouter une peur pouvant devenir incontrôlable.

Les tricks en guise de rééducation camouflent le problème, jusqu’à ce que ce dernier ressurgisse beaucoup plus fort. Si vous souhaitez réellement vous produire en public, travaillez d’abord les bases. Guérissez la plaie au lieu de mettre un pansement sur une blessure purulente. Vous travaillerez alors avec un chien qui n’a plus peur des humains et sera 100% disponible pour votre passe-temps favori.

4 réflexions au sujet de “Tricks et rééducation : pansement trompeur ou solution durable”

  1. Merci bcp à vous ! Très belle démonstration des intérêts et surtout des limites de ce système !
    Je serai bien incapable de danser des heures cernées par des rats sans que ça me rende malade 🥵🥵🥵
    Alors si en plus je m’en rends compte au milieu du ballet… je file en hurlant🤯 .

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  2. Je suis entièrement d’accord pour l’avoir vu.
    Les conseils pour l’approche de ce genre de rééducation sont très pertinents et intéressants dans les explications comparatives avec les phobies humaines.
    Merci beaucoup pour tous ces articles intéressants et salvateurs dans des situations oh combien complexes.

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