Le chien né pour obéir, une aberration

Pour beaucoup, la notion d’obéissance est indissociable du chien qui doit être bien dressé dès son plus jeune âge pour modérer ses instincts, contrôler ses réactions. Un animal qui ne s’assoit pas sur ordre, n’attend pas silencieusement sur demande ou tire en laisse est considéré comme dissident, tandis que nous admirons celui qui dévore son maître des yeux : “Il obéit au doigt et à l’œil, quelle relation exceptionnelle !”. 

La tendance est au changement, avec un nouveau regard sur la relation homme-chien. L’éducation positive valorise l’égalité, la complicité. Selon ses adhérents, un chien ne doit pas obéir sinon, éventuellement collaborer. C’est à nous de faire un pas vers eux. 

Les deux réponses sont bonnes, mais ils faut les contextualiser : selon des facteurs internes, propres à notre éthique, considère-t-on le chien plus heureux s’il n’a pas à réfléchir ou s’il a l’occasion de développer pleinement sa personnalité au risque d’opter pour des choix qui nous déplaisent. Quant aux facteurs extérieurs, ils concernent l’environnement dans lequel vit le chien. Peut-on s’octroyer le luxe de toujours laisser la décision à Toutou sans risquer sa vie ? 

Ce dilemme trouve une partie de sa résolution dans les origines de la relation hommes-chien. Avant de se demander si notre animal de compagnie doit à tout prix nous obéir, considérons s’il est ou non fait pour ça. Est-il né pour suivre grégairement une autre espèce (la nôtre en l’occurrence) qui le guide ? Possède-t-il suffisamment de libre-arbitre pour prendre des décisions ? 

La nature favorise la collaboration 

De nombreux exemples d’associations profitables réunissent des espèces que tout oppose en apparence : l’anémone vénéneuse protège le poisson-clown qui la nettoie, le requin épargne et nourrit le rémora qui le débarrasse de ses parasites. Permanentes ou ponctuelles ces relations sont égalitaires : aucune espèce ne prend l’ascendant sur l’autre. Chacune collabore mais conserve assez d’autonomie pour évoluer chacun de son côté. Aucune des deux espèces n’était soumise à l’autre. C’est l’opportunisme qui les a poussé à se rapprocher et à créer une relation de dépendance. Chacun a besoin de l’autre pour se faciliter la vie, sans en être dépendant. C’est du mutualisme, pas de la symbiose. Par exemple, fleurs et abeilles ne peuvent exister l’une sans l’autre. Les premières seraient incapables de se reproduire tandis que les secondes mourraient de faim. 

Toutefois, ces relations restent primaires, liées au besoin de se déplacer, se nourrir, d’être protégé ou d’éviter les maladies. Ensemble, l’homme et le chien (les singes, le cheval, les dauphins sont aussi concernés) ont tellement évolué qu’ils restent ensemble pour bien d’autres raisons que celles évoquées ci-dessus. Des millénaires d’apprivoisement mutuel, basés sur la volonté de se rapprocher ont donné naissance à des sentiments comme l’affection. 

Naissance et évolution d’une collaboration complexe et complète

L’histoire du début ressemble en tout point à la trêve que les squales ont signé avec les minuscules poissons nettoyeurs. Les premiers loups qui rôdaient autour des campements humains étaient attirés par l’opportunité de manger. Il était question d’éviter de brûler des calories à la chasse tout en prenant des risques mesurés face à ces bipèdes. Quant à ces derniers, ils avaient certainement remarqué que la présence de prédateurs les protégeaient. Un partenariat superficiel, d’abord méfiant s’est installé, puis a évolué parce qu’il fonctionnait, contentant les deux parties. 

Quand l’homme s’est sédentarisé et a commencé à élever du bétail, le descendant du loup, désireux de rester avec lui s’est adapté. De prédateur, il est passé à gardien d’herbivores, protecteur d’un être bien plus fragile physiquement mais aussi plus intelligent. Bergers des grandes plaines et peuples nordiques attendaient de leurs chiens, une autonomie qui leur permettait de vivre dehors, sans attache tant qu’ils n’avaient pas besoin d’eux. Ainsi, ces animaux chassaient, dormaient comme bon leur semblaient avec pour seule “règle” de partenariat la protection du troupeau ou le retour auprès du traîneau pour le départ. En échange, ils recevaient une pleine gamelle de viande, la protection des hommes et de l’affection : une aubaine dans ces paysages hostiles. Aujourd’hui, cette alliance existe toujours : en théorie, pourtant, ces chiens peuvent partir, disparaître, mais ils choisissent de revenir aux côtés de leur maître. Rien ne les oblige à obéir, ils veulent collaborer parce que le partenariat leur est profitable.

Deux espèces qui ont appris et apprennent à communiquer

L’observation mutuelle a permis aux deux espèces de comprendre le langage de l’autre et d’établir un langage intermédiaire. Sur google, nous trouvons des dessins qui expliquent les signaux d’apaisement chez le chien, eux se transmettent la capacité à interpréter nos expressions comme le prouvent de nombreuses études. L’une d’elles notamment montrait que des photos d’humains en colère, tristes, joyeux provoquaient des réponses émotionnelles appropriées chez le chien : un sourire libérait des endorphines tandis que des sourcils froncés stimulaient sont inquiétude. Mieux encore, Médor réagissait davantage si la personne sur les photos était un “ami” (le maître) ou un ennemi (le vétérinaire avec un historique négatif). Mais Fido ne fait pas qu’interpréter, il a appris à s’exprimer pour se faire comprendre de son collaborateur.

La collaboration passe même par la génétique

Difficile de résister au regard tendre de Pitou qui vous réclame un bout de pizza ? Vous n’êtes pas – totalement – un cœur d’artichaut parce que vous êtes victimes d’un effet secondaire du rapprochement naturel entre le chien et l’homme. En 2017, Juliane Kaminski a démontré que c’est l’évolution qui a offert cette arme de persuasion à votre gourmand. Une arme qui se présente sous la forme de Laom et Raol, deux charmants muscles supplémentaires autour des yeux, inexistants chez le loup, pour affiner leur expression faciale et mieux communiquer avec nous. Toujours selon son étude, Julianne Kaminski a noté que le chien bougeait davantage ses “sourcils” lorsqu’un humain le regardait. Humain qui réagissait plus positivement si son poilu jouait de cet atout. La scientifique en a donc conclu que ce mouvement était volontaire. De même, certains chiens copient leur maître et “sourient”, retroussant leurs babines et dévoilant leurs crocs (alors que c’est un signe d’agression) pour le saluer. 

L’histoire entre l’homme et le chien est l’un des exemples les plus aboutis de collaboration. Les deux espèces ont pris le temps de s’adapter à l’autre, aussi bien mentalement, physiquement que génétiquement. Non seulement la nature privilégie le rapprochement (simple comme chez les abeilles et les fleurs) ou plus profond, mais il n’existe aucun exemple d’obéissance innée. La notion de devoir d’obéissance doit être enseignée et elle peut parfois se révéler dangereuse. 

Les limites de l’obéissance à tout prix

L’homme cohabite avec bon nombre d’espèces : outre les chiens, les chats et autres animaux domestiques, il a aussi établi des liens avec des oiseaux, des mammifères marins et terrestres et même des reptiles. La vulnérabilité purement physique de l’humain le condamne face à des créatures telles que l’éléphant ou l’orque. Il a donc choisi de les conditionner. Un dresseur de lions, pareillement, vous dira que la moindre erreur peut être fatale, raison pour laquelle il exige une obéissance pleine, totale. L’animal payant sa nourriture et son logis en quota de dévotion, cela reste, en principe, une collaboration. Toutefois, le tigre, le lion, ou même le cheval sont des animaux avec leurs instincts. Ils peuvent décider de désobéir parce que l’ordre donné va à l’encontre de leurs envies primaires et plus profondes. La collaboration, rigide, sans concession devient forcée. L’orque, le tigre doivent plier et la communication est rompue, devenant unilatérale. L’homme devient l’employeur et l’animal le salarié.

Malheureusement certains patrons, nous le savons, abusent de leur pouvoir. 

Que se passe-t-il, alors, quand après plusieurs avertissements lancés par le “subordonné” sciemment ou inconsciemment ignorés, il décide de se rebeller ? Un employé qui n’a plus rien à perdre dépose une plainte au tribunal pour harcèlement, le lion plante ses crocs dans le bras du dresseur. Quid des punitions face à un animal de plusieurs centaines de kilos sans doute habitué au fouet, motivé par son instinct et une poussée d’adrénaline qui lui font ignorer la douleur ? Les limites de l’obéissance à tout prix sont atteintes et certains, notamment dans les aquariums en payent le prix. Souvenons-nous de Willy “L’Orque tueuse” qui a noyé plusieurs entraîneurs, y compris ceux qui la traitaient “bien” parce qu’elle vivait dans un lieu totalement inadapté. 

Face à un animal qui remet en cause un contrat faussé, l’homme n’a plus beaucoup de chances. Sans parler des quelques cas dramatiques (parce qu’il y en a), il arrive que des chiens se rebellent à leur manière contre des exigences trop fortes : troubles comportementaux, perte de la relation avec leur maître. L’obéissance totale exigeant une punition à chaque déviance ne mène qu’au contrôle excessif, maintenu par une surenchère de punitions qui, un jour, ne suffiront plus. 

La collaboration ne suffit plus dans ce monde moderne. Le chien doit obéir

Vu comme ça, la réponse semble logique, implacable : le chien n’est pas né pour recevoir des ordres sinon collaborer. Malheureusement, la nature profonde est une chose, l’environnement en est une autre. Force est de constater que depuis son déménagement dans le monde des bipèdes, le chien ne décide plus de grand chose. Suspendu à la phrase “on va promener ?”, il doit attendre des heures que son maître rentre du travail. Impossible pour lui de décider quand et que manger, où se promener et à quel rythme. Indubitablement, Toutou aurait de quoi se rebeller car le contrat de collaboration n’est plus égal depuis bien longtemps. S’il ne le fait pas, c’est que son évolution ne le lui permet peut-être pas. 

Les refuges accueillent chaque jour des centaines de chiens squelettiques, abandonnés, incapables de vivre sans l’homme, tandis que ce dernier peut choisir de prendre un animal de compagnie ou non. Dès lors, la notion d’égalité disparaît. Sauf exception (des chiens redevenus en partie sauvage sont assez débrouillards pour prendre le métro à Moscou). Fido ne vit pas ou ne vit pas bien sans son collaborateur, lequel, de ce fait devient involontairement son supérieur. 

Plus intelligent, adaptable et rapide à évoluer, ce dernier a imposé son mode de vie au chien qui a cédé du terrain. La prédation sur les chats et autres bestioles du voisinage est une preuve parmi tant d’autres que le chien n’est pas entièrement adapté à notre mode de vie. Et c’est compréhensible puisque le contrat de colocation entre nos deux espèces n’est pas entièrement juste : nous vivons dans un monde majoritairement humain. Ce qui est nécessaire à notre bien-être (territoires rapprochés, jolis parcs propres, moyens de transports) peut nuire à Fido. 

Quand les instincts de notre chien le mettent en danger. 

Il perd la tête face à ce que lui commande son instinct : traverser la route pour charmer une caniche en chaleur. Comment réfléchir face à cette beauté frisée ? Sauf expérience précédente ou long apprentissage, il est incapable de savoir que la bonne décision à prendre est de sauvegarder sa vie plutôt que de se reproduire. En cet instant, c’est à l’humain de choisir pour lui, de prendre le relais et d’exiger un arrêt immédiat. 

En danger, certaines personnes, paralysées par la peur ont besoin qu’on leur donne des ordres très précis dans un contexte particulier  (incendie, accident…). Que ce soit parce qu’il ait peur (bruit de pétard) ou qu’il ignore la nature d’un danger, Fido doit, pour sa sécurité, le respect que le bien-être d’autrui obéir. Un ordre d’urgence auquel il ne doit jamais déroger (le rappel par exemple). Face à une personne effrayée par les chiens, un congénère réactif ou des appâts empoisonnés, Médor n’a pas d’autre choix que d’apprendre pour sa survie ou son bien-être à ranger son libre-arbitre et se fier aveuglément à son collaborateur, devenu supérieur.

Le constat est de prime abord, assez triste puisque notre vie semble condamner notre ami poilu à une liberté tronquée. Certains maîtres font le choix de ne pas lui imposer d’ordre mais ils doivent alors toujours tenir leur chien en laisse pour lui éviter des ennuis. D’autres le libèrent mais exigent en retour une obéissance totale, sous peine de rattacher le “dissident”. Les deux méthodes font contre mauvaise fortune bon cœur et doivent être choisies en fonction de ce qui nous semble le plus important : Offrir son libre-arbitre à Médor dans l’espace restreint de la longe, le parc grillagé ou signer avec lui, un contrat de retour immédiat malgré les odeurs appétissantes d’une poubelle ou une forêt pleine d’odeurs

Une alternative ? Un évolution encore plus complète de la collaboration qui nous unit avec notre compagnon: Au lieu de nous satisfaire de celle, innée qui existe ou de la briser pour obtenir une relation de supérieur-employé qui assure une relative sécurité à Toutou. Est-il possible de pousser en quelques années, la relation homme-chien suffisamment loin pour lui rendre sa place de collaborateur ? Guider assez subtilement ses choix pour que sa décision devienne la bonne, celle qui s’adapte à notre société. En un mot, faire de Toutou un bon citoychien. 

Nourrir la collaboration grâce à l’opportunisme inné des chiens

La société fonctionne sur la base de règles, il est, convenons-en, impossible de laisser un chien livré à lui-même voler dans les assiettes du restaurant, massacrer les pétunias du jardin public ou sauter sur la gentille mamie qui ne tient pas très bien sur ses pieds. Dans ce cas, l’opportunisme qui a conduit Médor jusque dans nos campements et sa tendance à la collaboration, développée au fil des siècles suffisent-ils pour bien l’éduquer ?  

De nombreuses études ont démontré que chaque chien avait une personnalité propre, une certaine sensibilité aux émotions et surtout, un libre-arbitre (contrairement aux fourmis qui suivent uniquement leur instinct et n’en dérogent pas). Il s’en sert pour choisir la meilleure option à ses yeux : Celle qui lui permet de survivre mais aussi de se sentir bien (jouer n’est pas vital mais c’est agréable). 

Apprendre à Toutou à prendre la bonne décision

On peut donc influencer le choix du chien en renforçant chaque prise de décision adéquate : c’est l’idée du shaping, une méthode d’éducation positive qui offre à Toutou le loisir d’user de son libre-arbitre pour obtenir une récompense. À force d’essayer, il finit par comprendre quelle action lui est favorable et laquelle non. En guise d’exemple simple : en balade, nous laissons Médor faire ce qu’il veut. S’il reste debout, renifle ou regarde ailleurs, on l’ignore, mais s’il s’assoit un délicieux bout de jambon accompagné de félicitations tombent. Notre gourmand va naturellement chercher comment se remplir encore la panse. Après plusieurs tentatives, il va de nouveau s’asseoir et recevoir des friandises. Le comportement va devenir très valorisant et le chien va le proposer sans même connaître l’ordre “assis”. Transformez le “assis” en arrête-toi au trottoir etc et vous obtenez un chien quasiment autonome, capable d’obéir à de nombreux ordres jamais prononcés. Il est encore une fois, récompensé pour des décisions propres et adéquates, adaptées à notre monde si dangereux. 

Grâce à des récompenses assez fortes pour réveiller l’opportunisme de notre chien et aviver son envie de collaborer, nous pouvons le mener à exécuter des comportements parfois très complexes. De fait, les chiens dressés à trouver de la drogue ou des victimes dans les décombres apprennent à le faire avec l’aide du jeu. Si on les y “obligeaient”, l’animal pourrait désobéir ou bâcler le travail. En revanche, les comportements acquis grâce à la collaboration finissent par devenir eux-mêmes des renforçateurs et le chien peut les proposer par simple désir de faire plaisir au maître. À l’instar de l’enfant fier de mettre la table pour participer à la vie de famille, le chien ayant “choisi” de participer à cet apprentissage, il est en convaincu au lieu d’être contraint. Pourquoi donc lui ordonner ce qui peut être demandé ?

L’éducation positive : plus longue mais plus stable

Les bases sont plus longues à construire mais beaucoup plus solides que celles installées par les injonctions, possiblement ignorées un jour par un chien “pas dans son assiette” ou décidé à renverser le tyran. S’il agit par amour pour son maître, et donc selon sa nature profonde qui lui donne l’envie de collaborer, Rex ne se force pas. Comme vu précédemment, la collaboration doit être travaillée. Cela exige du temps, de la finesse pour guider le chien sans l’obliger, les résultats en valent toutefois la peine. Conditionné adéquatement, dans des proportions raisonnables, Fido est capable d’accomplir d’extraordinaires exploits dont celui de gagner notre confiance en (presque) toutes circonstances.

Bien sûr, n’oublions pas qu’à notre instar, notre ami continuera d’avoir des jours “avec” et des jours “sans”. Ses instincts le titilleront parfois, et il faudra alors savoir tronquer sa liberté pour le protéger. Néanmoins, que sont ces quelques heures de contrainte limitée en comparaison avec une attache permanente ou des exigences qui contrôlent chacun des mouvements de son corps ? Pour ce prix, seriez-vous prêt à travailler son rappel et le perfectionner au point de lui offrir une liberté quasi totale dans les lieux qui s’y prêtent ? Nous pouvons vous aider à améliorer votre relation et ses auto-contrôles pour une collaboration en toute sérénité. (Découvrez Mission Rappel)

1 réflexion au sujet de « Le chien né pour obéir, une aberration »

  1. Bel article, nous avons husky sibérien une race très indépendante, mais cela ne l’empeche pas de nous écouter, il reste libre de ses envie, parfois en promenades il s’éloigne pour aller découvrir la nature, mais il revient toujours à nous 🙂

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