L’art du Bucket Game : révolutionner les soins courants et médicaux 

Le monde de l’éducation canine est en constante évolution, pourtant, le “Bucket Game” dont nous allons parler aujourd’hui ne date pas d’hier ! Créé par l’éducateur canin britannique Chirag Patel, le Bucket Game se démarque par sa simplicité, sa convivialité et son approche coopérative. Le “jeu du seau” (on va éviter de le traduire à partir de maintenant) utilise une gamelle de nourriture pour enseigner aux chiens la notion de consentement. Dans cet article, nous vous proposons un guide complet pour le mettre en place dans le cadre des soins coopératifs en mettant l’accent sur les techniques, les avantages et les adaptations possibles pour répondre aux besoins spécifiques de chaque chien. 

Le bucket game laisse le choix au chien de dire « continue » « pause » ou « stop » pendant les soins. Cela nous permet de travailler avec son consentement et donc avec peu, voire pas de stress. Les soins deviennent une collaboration et pas une torture que le chien endure.

Définition et objectifs du Bucket Game

Comme vous l’avez appris dans l’introduction, le Bucket Game est une méthode de travail développée par l’éducateur britannique Chirag Patel. Cette approche innovante repose sur l’utilisation d’un pot ou d’une gamelle remplie de friandises pour apprendre aux chiens à se concentrer, à développer leur auto-contrôle et à établir une communication non verbale efficace avec leur éducateur ou propriétaire. Le Bucket Game se distingue par son approche ludique et positive, favorisant la confiance et la coopération entre le chien et les humains qui l’entourent. Simple et efficace, le Bucket Game est devenu un outil de choix pour de nombreux propriétaires, éducateurs et vétérinaires à travers le monde.

Le Bucket Game vise principalement trois objectifs clés. Premièrement : le renforcement positif, qui consiste à récompenser les comportements souhaités, incitant ainsi le chien à les reproduire. En proposant des friandises comme récompense, le Bucket Game encourage l’apprentissage et transforme une corvée (brossage, soins médicaux) en activité collective. 

Ensuite, le deuxième objectif (qui construit une fondation nécessaire) est l’auto-contrôle : le chien doit apprendre à patienter et à se maîtriser pour obtenir les friandises posées face à lui. Enfin, le jeu du pot facilite la communication entre le chien et l’humain, en mettant en place un langage non verbal limpide. 

Le concept du Bucket Game

Ce jeu est assez simple et se base sur le concept des feux de circulation. Le feu vert signifie “tu peux y aller” et le feu rouge “stop”. Quant au feu orange c’est : “attends ici”. Dans ce jeu, le chien attend face à un pot rempli de friandises (ou une gamelle pleine). Il peut être debout, assis ou couché, et le pot est au sol ou sur un petit tabouret, mais toujours à portée. Ce dernier, grâce aux autocontrôles, a appris qu’il ne pouvait pas se servir lui-même, c’est l’humain qui pioche et donne.

Le comportement “feu vert” est le regard du chien, fixé sur la nourriture. Il indique qu’il est prêt à accepter les manipulations. On peut alors brosser, toucher, masser l’élève, tant qu’il regarde le pot. Si le chien se détourne, il n’est plus à l’aise – il est préférable d’interrompre les manipulations. Un regard de côté est un “feu orange” souvent suivi d’un nouveau feu vert (le chien se stabilise et fixe à nouveau le pot, acceptant le retour des sollicitations. Si le regard reste détourné trop longtemps du pot ou que le chien quitte la session (s’éloigne, se couche dos au pot) c’est un feu rouge. La session s’arrête car le consentement a pris fin.

Cette méthode respecte les limites du chien tout en lui apprenant à coopérer lors des soins. L’environnement est positif pour l’animal et la personne qui le manipule (vétérinaire, ostéopathe ou propriétaire). Le feu vert (consentement éclairé) permet d’effectuer les soins nécessaires de manière sereine et efficace, sans générer de stress pour l’animal. Si la situation devient trop dure, il sait qu’il peut dire “stop” et sera écouté. Cette capacité de contrôle est nommée l’empowerment, capital pour l’équilibre émotionnel de tout individu.

Le bucket game dans les soins coopératifs

Les soins coopératifs sont une approche de l’éducation canine positive. Ils mettent l’accent sur la collaboration entre le chien et l’humain pendant des procédures médicales. En effet, les chiens sont plus tolérants aux soins lorsqu’ils sont impliqués activement dans le processus, et lorsqu’ils peuvent exprimer leurs émotions. Cela inclut donc la capacité d’exprimer des émotions négatives (peur, stress) tout en étant entendu et respecté. Les soins coopératifs permettent donc la pratique d’opérations douloureuses avec l’accord du chien (retrait d’une tique, coupe des griffes, désinfection d’une plaie). 

Le medical training, aussi appelé coopérative care, husbandry training ou soins collaboratifs, se détache de l’ancienne approche. Pour couper les griffes d’un chien sans l’attacher, le museler ou le sédater, on utilisait le contre conditionnement ou la désensibilisation. On rendait donc les outils et les actes positifs. Tant que le chien n’était pas à l’aise, l’étape suivante n’était pas franchie. On pouvait mettre plusieurs mois avant de couper une griffe sans réaction aversive. Cette pratique, bien que s’inscrivant dans l’éthique bienveillante, ne laissait pas le choix au chien de dire “stop”. On ne pouvait qu’aller de l’avant.

Ainsi, le Bucket Game est l’une des outils liés aux soins coopératifs, avec cette notion très claire passant par les signaux feu vert, orange ou rouge. Voici d’autres exemples de comportement codé de façon à ce que l’inconfort du chien se manifeste clairement :

  • Poser la tête sur un support (tabouret, genoux)
  • Rester sur le flanc
  • Ouvrir la gueule sur un support 

Cependant, les procédures classiques (désensibilisation, contre-conditionnement) ne doivent pas être caricaturées comme de la maltraitance. Bien introduites, ces techniques donnent des résultats similaires. Ci-dessous, vous voyez une vidéo de désensibilisation tournée en 2013. C’était pendant que nous attendions la fin de notre machine dans une résidence étudiante. 

Les étapes clés pour initier un chien au Bucket Game

Le matériel nécessaire 

Pour mettre en place le Bucket Game, vous aurez besoin de quelques éléments essentiels. Bien sûr, le premier et principal, c’est le pot (ou la gamelle). Remplissez-les de friandises de petite taille et très appétissantes. Si vous avez un grand chien énergique, le pot sera probablement dans votre main au début, ou posé sur une table. En revanche, pour un petit chien ou un toutou assez calme, le poser par terre ou sur un marchepied sera suffisant. Enfin, préparez l’espace de travail en veillant à ce qu’il soit exempt de distractions. Autrement dit, ne commencez pas en pleine gare ou au milieu d’un club canin. Si vous travaillez chez vous, un sol antidérapant (rien qu’un tapis) sera très apprécié (rester assis ou debout longtemps sur un carrelage ou un lino qui glisse, c’est pas top). Voyons à présent comment lancer cet apprentissage.

Mise en place du Bucket Game : façonner le regard

Tout d’abord, commencez par présenter le seau ou la gamelle remplie de friandises tout en gardant en hors de portée. Lorsque votre chien y prête un peu d’attention, récompensez à la chaîne sans précipitation. N’attendez rien, prenez simplement une gourmandise, donnez-la au chien et recommencez tranquillement jusqu’à ce que Fido ne saute plus comme un fou pour atteindre le pot. Si vous avez déjà travaillé le leurre inversé, vous irez très, très vite et vous éviterez bien des frustrations à votre meilleur ami. 

À présent qu’il fixe le pot (ou votre main) sans bouger, mangeant croquette après croquette, passez à l’étape suivante. Cessez de distribuer et observez. Quand votre loulou porte son regard sur le contenant (pas vos mains, pas vos yeux), dites “oui !” et récompensez.

C’est le nouveau critère. Maintenant, c’est le regard qui déclenche la nourriture. Ce n’est plus gratuit. 

Bucket game tenu en main (petit chien)

Le pot était normalement hors de portée du filou. Essayez de le rendre plus accessible : soit vous le baissez un peu, soit vous le laissez sur un support. Bien sûr si votre chien n’a aucun contrôle, ne posez pas le pot à terre à 5m de vous. Si le coquin pourrait gober le pot entier, laissez ce dernier sur un support. S’il est poli, vous pouvez le laisser à terre mais restez proche. Recommencez la même procédure, Toutou doit regarder la gamelle, pas vous. 

Pot sur un support
Pot à terre

Façonnez tranquillement la durée du comportement, en récompensant après une seconde de regard, deux secondes, trois secondes… Prenez votre temps. Si vous n’êtes pas familier avec le concept de durée sans dire « pas bouger » voici un article avec des vidéos qui vous expliquera comment faire. Nous allons aborder ce point en détail par la suite.

Début du travail de la durée (1-2 secondes)

Construire le comportement avec les 3D : Durée, Distance, Distractions

Quand vous commencez à avoir 5 à 6 secondes de fixité sur le pot, vous pouvez passer à la suite.

Dans un premier temps, changez votre position. Décalez-vous de plus en plus, jusqu’à être à côté de votre chien. Dans l’idéal, vous devriez pouvoir finir derrière lui dire “yes” puis marcher vers le pot et donner une friandise. L’attitude du chien doit être calme, sereine. Il peut être intéressant, si vous le travaillez dans d’autres contextes (tricks, sports canins, etc) d’utiliser un autre marqueur signifiant “c’est bien, je vais te récompenser”. Le yes est en effet, souvent compris par le chien comme une libération vers la récompense. Certains utilisent un sifflet, d’autres claquent de la langue. Moi j’utilise “food” pour “sers-toi” (prends la nourriture face à toi) et “wait” pour “bien, je vais te récompenser”. 

Elaborez le Bucket Game en combinant les critères de durée et de distance (par rapport à vous). Pas besoin d’attendre d’être à l’autre bout de la pièce ! Essayez simplement de varier votre placement. Tantôt à gauche, tantôt à droite, pouvez-vous le faire derrière Toutou ?

Pour terminer, ajoutez les distractions. Ce dernier critère sera le ciment qui solidifiera tous vos apprentissages. Au début, une distraction est une main tendue, un objet bougé près du chien, ou un contact physique éphémère. L’idéal est de les introduire de façon si graduelle que le chien n’échoue que très peu. Si les « feu orange » sont trop fréquents, prenez cet indicateur en compte. C’est que le niveau est trop élevé. Essayez de travailler sous la forme de jeu, et non de contrainte à faire passer. Votre élève doit trouver le challenge exaltant, et pas le subir.

Début des distractions avec le bucket game, puis une autre position de consentement

Soyez patient et adaptez votre rythme aux besoins et au niveau de chaque chien. Certains  peuvent avoir besoin de plus de temps pour comprendre et maîtriser le concept du Bucket Game. En évoluant progressivement et sans brûler les étapes, vous pourrez tirer le meilleur parti de ce jeu et offrir à vos élèves canins une expérience d’apprentissage positive et coopérative.

Introduire les soins – début des manipulations ou du brossage

Après avoir débuté le travail de la durée, de la distance puis des distractions, vous êtes prêts pour passer aux soins. Commencez par une procédure que votre chien tolère bien. Pour certains c’est le brossage, pour d’autres ce sera des massages. Vous pouvez travailler seul(e), mais l’aide d’un assistant sera précieuse. Cela vous permettra de rester face à votre chien, en surveillant son attitude. 

Il est capital de correctement informer votre aidant de la procédure. Ses gestes doivent être coordonnées sans votre aide. A votre signal, il pose les mains ou la brosse sur le chien, et ne la bouge pas. Quand vous donnez votre marqueur de récompense, tout contact est retiré. Même chose si le chien se détourne du pot ou donne un feu orange ou rouge. Dans la vidéo ci-dessous, vous pouvez voir que Calli respecte ce protocole à la perfection. Son contact est placé au signal vert de Sanari, et enlevé quand elle se retourne OU au moment de mon “wait”. Cette communication prend du temps à mettre en place elle est plus facile à expliquer qu’à opérer mais visez la meilleure coordination possible. 

Nous avons volontairement créé un échec pour clarifier tous les concepts vus plus tôt.

Quand le contact des mains ou de la brosse est parfaitement accepté par le chien, on peut ajouter de la pression. Alternez avec des pressions et des durées variées. Tantôt on appuie beaucoup et on récompense après quelques secondes, tantôt on touche à peine mais on valide après dix secondes. 

Qu’on vise un rendez-vous ostéopathique, ophtalmo ou une coupe des griffes, tout doit être décomposé par petites étapes. Il n’est pas réaliste de chercher à couper dix griffes dès sa troisième session de bucket game.

Les mille usages du bucket game

Si ce protocole est surtout utilisé pour la coupe des griffes ou les manipulations, on peut l’utiliser dans un but médical. Certains pratiquants peuvent laisser tomber des gouttes de collyre dans les yeux de leur toutou, ou effectuer une prise de sang. On peut aussi vérifier les dents ou les brosser, nettoyer les oreilles, vérifier la température rectale ou désinfecter une plaie. Certains vétérinaires acceptent de pratiquer leurs soins courants avec le bucket game si ce dernier est maîtrisé. Si cette idée est réjouissante, il faut bien penser à pratiquer avec de nombreux assistants connus et inconnus par le chien ! Ce dernier point est souvent oublié. Arrivé au cabinet vétérinaire, tout se délite car Toutou ne sait se faire manipuler qu’à la maison par les membres de la famille. 

Pour ma part, j’utilise le bucket game dans le cadre du fitness canin. Ce jeu me permet de travailler sur le renforcement musculaire avec la complicité de mon élève. Par exemple, je presse une région et je récompense quand mon élève contracte cette dernière (ou les muscles antagonistes). Cette méthode m’offre la possibilité de solliciter de plus en plus, en sentant très clairement quand mon chien pousse contre ma main. Cela s’inscrit bien sûr dans une pratique globale et après un bilan structural et postural complet.

Une réflexion sur l’inconfort des positions

Avez-vous remarqué la différence de posture sur mes chiens quand le pot est tenu, sur un support ou à terre ? Une petite variante aussi simple que cela peut avoir de grandes conséquences. En effet, quand le Bucket Game est effectué debout, le chien a encore un peu le choix de sa posture. En revanche, si on lui demande de poser la tête sur un support, alors il se retrouve figé dans une position parfois inconfortable. Imaginez devoir taper à l’ordinateur, la tête basse et le dos rond à cause d’un plafond trop bas ? Pour le chien, un tabouret trop haut ou trop bas peut créer (ou révéler) des douleurs cervicales ou dorsales. Un support trop haut compactera les vertèbres, et un support trop bas mettra trop de poids sur l’avant main.

Ainsi, que votre toutou reste debout, la tête posée sur un marchepied, ou se couche avec la tête sur vos genoux, réfléchissez bien à son confort. L’idéal est de lui demander de se placer debout ou couché, et de trouver un support qui arrive au niveau de son menton. Moins il devra lever ou baisser exagérément la tête, plus la posture à adopter sera proche du naturel. Et donc : elle aura moins d’impact. Soyez encore plus précautionneux avec les séniors, qui peuvent déjà souffrir de problèmes articulaires.

Conclusion

Le Bucket Game ouvre la voie à une approche plus coopérative et respectueuse des soins courants et médicaux pour nos amis canins. En mettant l’accent sur la communication, la confiance et le bien-être de l’animal, cette méthode révolutionne la manière dont les particuliers et professionnels interagissent avec les animaux domestiques.

Nous encourageons vivement les éducateurs canins à explorer les possibilités offertes par les soins coopératifs et à intégrer le Bucket Game dans leurs programmes d’éducation. En adoptant cette méthode ludique, vous ouvrirez la porte à de nouvelles pistes de travail. En fin de compte, le Bucket Game n’est qu’un exemple des nombreuses innovations dans le domaine des soins coopératifs. A nous, professionnels du chien, de mettre en œuvre des méthodes qui améliorent la qualité de vie de nos compagnons canins tout en favorisant une approche respectueuse et éthique de l’éducation canine.

Sources

  • « Effect of a modified bucket game on dog behavior and physiology in a veterinary clinic » de Martine et al. (2019)
  • « Positive reinforcement training to improve husbandry behaviours of non-human animals in zoos » de Bloomsmith et al. (2013)
  • « Cooperation and competition: dogs perform better with cooperative human partners in a food-rewarded two-way choice task » de Osthaus et al. (2010)

1 réflexion au sujet de « L’art du Bucket Game : révolutionner les soins courants et médicaux  »

  1. Merci beaucoup !
    Comme toujours c’est très bien expliqué, illustré par des vidéos 🤩
    Y’a plus qu’à… 🙂
    Bravo pour le sérieux de votre travail et la volonté que ça soit accessible 👏🏻

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