Harceleur à 4 pattes : l’autre face des chiens « gentils »

« Mon chien est gentil !!! » vous hurle quelqu’un alors que son golden retriever se jette vers le votre. Combien de fois avez-vous entendu (ou peut-être prononcé) cette phrase ? C’est sans doute vrai mais probablement pas suffisant. Aujourd’hui, de très nombreux chiens trop gentils sillonnent librement parcs, villes voire campagnes. Souvent, ils n’ont pas le moindre rappel, parce qu’ils sont considérés comme sociables. Ce passe-droit est pourtant dangereux, aussi bien pour le chien salué que celui qui salue. 

C’est la raison d’être de cet article. Il aborde ce problème très étendu mais non reconnu comme tel la majorité du temps. La frontière est fine entre le chien gentil et celui harceleur, qui insiste malgré la volonté évidente de son interlocuteur canin d’éviter le contact.

« Dis bonjour à la dame »

Dès notre plus jeune âge nous apprenons les formules et gestes de politesse : dire bonjour, ne pas hurler, ne pas aborder n’importe qui, serrer la main ou faire un bisou. Les chiens vont à la même école, à la différence près qu’ils n’ont pas cette inhibition que nos critères de courtoisie exigent : s’ils n’aiment pas un autre chien, ils n’hésitent pas à le dire.  Un peu comme les enfants d’ailleurs.

C’est en observant leurs congénères que nos poilus apprennent à communiquer. Chez le naisseur d’abord, avec les parents et autres chiens présents, puis au fil des balades avec leur humain. Ceci implique malheureusement que si leurs yeux se posent sur un mauvais exemple, il y a un léger risque qu’ils le copient. Ainsi, si les congénères qu’ils rencontrent fréquemment manquent de vocabulaire, nos chiens communiqueront moins, au risque d’être ensuite mal interprétés. L’Esperanto Canin est chaque fois mis à rude épreuve, parce que de nombreux facteurs modifient sa grammaire, son accentuation et sa conjugaison. L’intervention ou la non-intervention humaine en est une !

Pour bien saisir comment aider nos amis à quatre pattes, débutons par les origines : comment fonctionne leur langue ?

La rencontre, évaluation de communication

Supposons que deux chiens adultes et bien codés se rencontrent pour la première fois dans un coin de verdure neutre, sans congénères ni ressources à protéger. Leur interaction devrait débuter d’une manière calme et détendue, premier signe d’une rencontre prometteuse.

  • Ils marquent un temps d’arrêt, bien qu’aucune laisse ne les retienne.
  • Ils peuvent être face à face ou légèrement décalés mais s’observent sans tension.
  • Ils se regardent sans se fixer trop longtemps.
  • Les oreilles et la queue ont une position généralement neutre.
  • Les muscles sont détendus, appuis souples
  • Ils peuvent exprimer une certaine joie – queue remuante, gueule ouverte, mouvement de jeu – mais ne se précipitent pas l’un sur l’autre.
  • Pas de signe d’excitation abusive : aboiements, sauts sur place, gestes frénétiques.
  • L’approche est relativement calme, en général l’un des deux décrit un arc-de-cercle pour ne pas directement arriver sur l’autre.
  • Ils se reniflent : certains préfèrent aller vers le postérieur, d’autres les parties génitales, le dos voire la nuque directement. Ils le font à tour de rôle ou en même temps mais chacun laisse à l’autre, l’occasion de le renifler.
  • Ils jouent, partent renifler ensemble ou passent leur chemin.

Certains signes peuvent être difficiles à percevoir, on retiendra donc que les deux animaux ne se jettent pas l’un sur l’autre, qu’ils soient libres ou attachés. Pas de fixation prolongée, ni de joie effrénée. Apprenez à observer votre chien, vous finirez par voir la différence entre une position d’attention et de tension.

Ce langage corporel riche est un meilleur indicateur que d’autres, évidents mais trompeurs. Il existe en effet encore quantité d’idées reçues à la peau dure.

Clichés et erreurs de traduction

Nous avons vite appris qu’un chien qui remue la queue est généralement content, et qu’il est préférable de s’éloigner de celui qui grogne en se hérissant. Mais depuis l’apprentissage de ces bases, les sciences comportementales ont évolué, dévoilant quantité de nuances parfois contre-intuitives.

Un chien qui remue la queue n’est pas forcément joyeux. Si son corps est tendu, il peut signaler son mal-être. Il est alors conseillé de ne pas l’approcher. Le battement de queue n’a pas de traduction littérale «  je suis content et j’aime tout le monde » tout comme notre sourire se décode en centaines d’interprétations.

  • La joie débordante d’un toutou qui tire sur sa laisse est à surveiller. Cet excès d’enthousiasme, né de la frustration de ne pouvoir approcher, déclenche souvent des rencontres brutales. Attitude très fréquente chez les jeunes chiens et les individus privés de contacts sociaux, elle n’est au final qu’un message à sens unique. Si les chiens sont mis en contact, notre jeune fou ignorera souvent avec superbe les signaux de stress qui lui seront envoyés. Vous avez surement déjà assisté à cette scène : deux chiens qui « jouent », le poursuiveur ravi, queue battante, et le pourchassé la queue entre les pattes et les oreilles rabattues ?…
  • Le chien qui grogne n’est donc pas à blâmer s’il cherche à transmettre son mal-être. Prévenant, il préfère avertir avant de monter d’un cran. Inutile d’avoir peur ou honte de lui, saluez au contraire sa patience, et sortez-le de la situation inconfortable où il pourrait être coincé…

En tant que maîtres, nous accompagnons notre ami quelle que soit la situation : parc, ville, campagne, en laisse ou sans. Que la zone soit déserte ou bondée, il est important de respecter ce rituel de salutation et de ne pas céder à un poilu qui hurle silencieusement sa hâte de connaître l’autre. Si nous n’avons pas le temps, si nous sommes tendus ou peu en confiance, il vaut mieux passer son chemin et éviter la rencontre. Notre chien n’a pas le besoin absolu de saluer tous les canidés qu’il voit pour être stable. Il est même préférable de faire peu de rencontres de qualité, plutôt que vingt conflictuelles…

Très peu de chiens apprécient une telle démonstration d’enthousiasme

Être trop aimable : un manque de politesse

L’autre versant de cette mauvaise interprétation, cause de nombreux soucis de réactivité est la tolérance abusive envers les chiens « gentils ». Comme il est mignon ce labrador dont la queue frétillante fait décoller son popotin, et ce croisé qui sautille, invitant frénétiquement son camarade au jeu.

 Un « Ne vous en faites pas, mon chien est gentil » résonne, puis déboule boule de poils et de bave joyeuse mais brute et en un instant, s’installe le chaos. En effet, cet adorable canin n’est pas toujours bien vu de ses congénères, surtout ceux qui ne supportent pas le manque de politesse. Car oui, ces salutations sont impolies : elles sont le signe d’une mauvaise application des codes canins.

Eh oui, c’est parfois ce toutou extrêmement spontané qui a des problèmes, et non râleur d’en face !

Pour nous mettre dans la peau de celui qui reçoit ces effusions, humanisons la situation : aimeriez-vous être abordé par un sympathique inconnu, arrivant sur vous en hurlant « T’es trop beau, on est ami, dis dis dis » le tout accompagné par une main qui entoure votre taille ? Entre mouvement de recul et gifle retentissante, le panel des réactions potentielles est large ! Pour les chiens, c’est exactement pareil. L’approche trop vive sans la période d’observation, de reniflement est un viol de l’espace vital.

L’autre problème des chiens trop « gentils » et souvent surexcités, c’est leur faible tolérance à la frustration. Imaginez croiser l’un de ces exubérants toutous en laisse, tirant sur son collier pour aller voir son congénère. D’un commun accord les chiens sont lâchés, et l’impatience du canidé se transforme en carburant qui s’embrase. La tension monte, les deux chiens deviennent sourds à tout signe d’anxiété de l’autre et ne se retiennent plus. L’excitation aidant, la frontière très fine entre le jeu sans bornes et l’agression se réduit jusqu’à parfois se transformer en pugilat.

Que faire si nous sommes la victime d’un chien gentil ?

Du teckel au Tervuren en passant par le petit croisé nous sommes toujours moins rapides, moins vifs qu’un chien. Comment faire face, donc, à cet aimant têtu qui souhaite à tout prix lécher votre toutou qui grogne désespérément ? Si l’Enthousiaste est lâché, on peut d’abord essayer de faire demi-tour ou de s’écarter, mais si le pot de colle persiste, nous devons songer à d’autres méthodes. Sans jamais être brutal, demeurez ferme. Soyez conscient que votre chien dépend de vous, mal à l’aise et attaché, il n’a aucun moyen de s’échapper, à vous de voler à son secours et lui montrer qu’il peut compter sur votre protection. Essayez donc d’éloigner le malotru en le surprenant via un « non » déterminé, en ouvrant les bras s’il le faut afin de stopper sa course. S’il est déjà trop près, vous pouvez chercher à le bloquer. Prenez toutefois garde à pas faire dans l’excès, en faisant barrière à chaque rencontre. 

Que vous soyez le maître d’un chien « trop gentil », réactif, peureux ou bien équilibré, les règles de courtoisie demeurent les mêmes. Ne le lâchez pas tant que vous n’êtes pas sûr d’avoir un excellent rappel ou du moins, que votre ami n’ira pas embêter les autres toutous et leurs humains. Nous ne savons jamais quel type de canidé se trouve en face de nous, ou quel type de bipède d’ailleurs. Peu, hélas désireront collaborer, évitez donc les problèmes en vous assurant de contrôler votre chien. 

Le respect entre maîtres

Qu’elles vous paraissent excellentes ou absurdes, les raisons pour lesquelles un maître ne veut pas que d’autres chien s’approchent du leur sont toutes légitimes : maladie, problème comportemental, âge, peu de temps… Certains animaux ne hurlent pas leur mal-être à des kilomètres à la ronde, avisant de ne pas les aborder. Ils ont une manière de communiquer si discrète, si faible qu’on peut penser qu’ils sont sociables alors que non. Chaque maître connaît bien son compagnon, et s’il vous dit (ou montre) de ne pas vous approcher, ne cherchez pas à lui rétorquer que « votre chien est gentil. » Respectez simplement sa demande. C’est son chien qui l’intéresse tout comme le vôtre doit vous intéresser.

En outre, certains maîtres refusent la rencontre parce qu’ils ont peur de tout chien qui n’est pas le leur ou d’une race spécifique. Ils peuvent aussi être pressés, de mauvaise humeur, la tête remplie de soucis. Bref, le meilleur moyen est de ne jamais insister et de s’en aller. Qui sait, demain peut-être qu’il vous engagera au contraire ?

Faut-il toujours fuir au moindre signe de tension ?

La rencontre entre deux chiens ne se passe pas toujours sans anicroche, c’est, de fait, assez rare. Tout dépend du type d’anicroche et de la personne en face, selon son désir de l’arranger ou non.

Si les deux chiens sont très altérés, que ce soit par peur ou par un désir de jouer irrépressible, que l’autre maître n’est pas réceptif, qu’il ne veut pas faire la rencontre ou se montre trop impatient, autant passer son chemin.

Si les deux chiens se montrent mal à l’aise sans plus et que notre interlocuteur à l’air de vouloir aider son toutou à faire une rencontre dans les règles de l’art, il est possible d’effectuer un abbord plus posé et calculé. L’autre maître et vous deviendrez alors des complices. Vous n’aurez que peu d’occasions de travailler de concert avec quelqu’un qui a du temps et de la patience.

Que retenir ?

Il est très important de savoir lire le langage corporel de notre animal. Est-il mal à l’aise ? Est-il trop excité ? Autant de questions à se poser avant de lever les yeux vers le chien d’en face et de s’intéresser à ses réactions. Restez courtois mais soyez ferme quant à ce que votre animal a besoin, nos propres critères de bienséance ne doivent pas interférer avec son bien-être. Quitte à être traité de malotru, coupez le plus délicatement une conversation avec un maître dont le chien dérange le vôtre, empêchez un « gentil » envahissant d’accéder à son espace vital.

C’est avec votre chien que vous allez vivre environ 15 ans, c’est lui qui va vivre avec un mal-être ou un traumatisme qui peut s’arranger mais demande de la patience, de la précision et de la constance.

À votre tour, écoutez les autres maîtres, n’imposez pas la présence de votre animal. S’il ne rencontre aucune autre truffe à renifler ou lécher, votre compagnon n’en deviendra pas asocial pour autant. N’oubliez pas de privilégier des rencontres de qualité, lesquelles pourront déboucher sur des jeux sains, donnant naissance à une belle amitié canine. Dans ce monde garni de canidés de tout genre, taille et comportement, le vôtre compte sur vous. Il n’a que vous pour se défendre ou être guidé vis-à-vis de ses excès. Choisissez des congénères calmes, bien codés et vous verrez rapidement un changement positif.

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