Le monde canin d’aujourd’hui est sévère. Les jugements sont parfois hâtifs, quelques soient les idéaux de chacun : coercitif ou positif, avec des variantes qui divisent tout autant. Le pire jugement cependant est celui que l’on porte à notre binôme. Les réseaux sociaux exhibant des chiens parfaits n’ont fait qu’accentuer la tendance naturelle de l’être humain à se fustiger quant à ses propres capacités. La pression sociale nous étouffe. Êtes-vous vraiment digne de votre chien ? Êtes-vous la meilleure équipe au monde ? Définitivement oui, et voilà pourquoi :
La remise en question perpétuelle est la première preuve de votre mérite. Vous aimez votre chien et souhaitez le meilleur pour lui. Mine de rien, le défi est gigantesque et la pression sur vos épaules, énorme. Les réseaux sociaux avec tous ces chiens performants tandis que vous galérez avec le rappel ne vous aident pas. Parfois, avec honte, vous pensez que votre chien n’est pas à la hauteur. De quoi devenir le pire éducateur coercitif envers vous-même. Pourtant, tout n’est pas rose de l’autre côté de l’écran, et tout n’est pas noir chez votre chien réactif : apprenez à revaloriser ses points forts, fêtez les minis réussites. Recentrez-vous sur votre duo. Votre meilleur ami ne changerait de référent pour rien au monde.
Les réseaux sociaux : source d’inspiration ou de blocage
Si vous êtes réellement préoccupé par le bien-être de votre chien dans divers domaines (alimentation, enrichissement, dépense physique, santé), vous faites déjà partie des meilleurs humains possible. Malheureusement, ce constat se retrouve vite enfoui sous les centaines de vidéos virales où des chiens enchaînent les prouesses : être lâchés en pleine ville, faire l’équilibre sur des cordes, réussir un parcours complexe, faire des tours très précis. À côté de ces duos à la complicité brillante, vous avez l’impression de ne pas tout offrir à notre chien, ou de ne pas “exploiter” son plein potentiel. Pourquoi se lancer dans l’apprentissage du twist ? Pourquoi s’émerveiller de notre loulou qui donne la patte, quand un autre de 10 mois fait le poirier ?
Et si jamais on essaye de faire la même chose avec les tutoriels d’une minute proposés, vous échouez souvent. De quoi briser encore notre confiance, et ce dans tous les domaines : éducation, rééducation, sport…
Un outil qui nous veut du bien mais qu’on utilise mal
Pendant longtemps, la mode était au “toutou parfait”. Photos sublimes où l’on expose un chien complètement libre, obéissant et exécutant un tour complexe, pans de balades équilibrées où tout se passe à merveille. Les auteurs vantaient les mérites de leurs chiens (et ils n’ont pas tort!) sans parler des difficultés. Chacun offre à ses abonnés le contenu qu’il souhaite bien sûr, et se focaliser uniquement sur le positif est un choix. Malheureusement, certains comptes le font au détriment de leurs stars poilues. Moments soigneusement extirpés d’une promenade calamiteuse, mise en stress de l’animal pour une prise, tours délétères pour sa santé (comme ce fameux poirier à dix mois). Le but est d’arriver rapidement au résultat en apparence impeccable.
S’inspirer d’un compte “réussite” est quelque chose de merveilleux, cela peut vous mener à grandir aux côtés de votre chien, mais encore faut-il garder son esprit critique ainsi que ses valeurs. Si votre but n’est pas d’avoir du “tout parfait” à afficher sur votre vitrine à tout prix, vous risquez d’évoluer moins vite. Pour exemple, ces vidéos florissantes avec une chienne qui va faire les courses au marché, ou les mises en scène avec un golden qui aide des personnes en difficulté, sans oublier le caniche qui marche sur ses pattes arrières, avec une tenue d’enfant. Observez les signaux de communication de ces animaux. Dans le meilleur des cas, ils ne sont pas à l’aise, dans le pire, ils sont en détresse. Le résultat de ces charmantes vidéos aux millions de vues est tout de suite moins reluisant. La patience, l’amour et la bienveillance sont des chemins plus longs, vous ne rivaliserez jamais de vitesse avec ces “faiseurs de contenus”, par contre, vous aurez bien plus de constance et une réelle complicité avec votre meilleur ami.
Des méthodes faciles et bienveillantes mais incomplètes
De nombreux comptes dispensent des tutoriels, en éducation comme en trick. Comment obtenir un rappel parfait en 5 points, enseigner le “croise les pattes”. Ces vidéos sont d’excellentes pistes, souvent gratuites, pour avancer et on ne peut que remercier ceux qui les mettent en ligne. Créer ce contenu leur exige du temps et de l’inventivité pour retranscrire correctement le processus. Toutefois, faites pour le plus grand nombre, ces vidéos sont génériques. Elles ne prennent pas les particularités de chaque toutou en compte. Impossible d’anticiper les problèmes de “porte” de Fido qui déteste la texture des serviettes pour exécuter le “roule dans ta couverture”, ou de s’arrêter sur la difficulté qu’a Sultan à coordonner plusieurs tricks. Concernant l’éducation, c’est encore plus flagrant : on vous explique comment enseigner la marche en laisse, sans parler de l’historique de Teddy le tireur compulsif, ou des distractions qui gâchent les efforts de Rex. Souvent exécutées avec un chien connaissant parfaitement l’exercice, ces vidéos ne représentent pas les difficultés que vous rencontrerez.
Les créateurs de contenu résument sommairement les étapes, et on les comprend encore une fois. Impossible de donner tous les détails sur une vidéo de 3 minutes, et certains gagnent leur vie en vendant la méthode complète. Ne désespérez donc pas face aux difficultés imprévues à laquelle ces échantillons de savoir ne vous préparent pas. Les personnes qui vous offrent ces conseils sont souvent passés par de longues étapes, eux aussi. Cela leur a demandé de la patience et cette facilité apparente qui vous fait envie est la clé de leur réussite. Un peu comme lorsqu’on regarde un champion de patins s’épanouir sur la glace : leurs pirouettes nous semblent simples comme bonjour mais résultent d’un entraînement acharné, semé d’embûches et plein de micro-étapes.
Vous qui connaissez votre chien, notez ses difficultés et recourez à diverses sources. Voyez quelle méthode est plus adaptée à votre loulou. Prenez les informations, recoupez-les et insistez sur les points faibles de Toutou. N’enseignez pas la marche en laisse à Rex dans un lieu rempli de distractions s’il a du mal à se concentrer, valorisez le “touche une serviette du bout de la gueule” de Fido avant d’exiger un porte.
Mon chien n’est pas assez bien
Dans le paragraphe précédent, nous avons mentionné le fait de travailler sur les faiblesses de son chien. Le problème, parfois, c’est que celles-ci semblent trop nombreuses. Votre meilleur ami accumule les difficultés : il ne revient pas au rappel s’il y a des congénères, mais aussi de la nourriture par terre et même des odeurs. Régler un souci ne vous mène qu’à vous confronter à un autre : vous voudriez bosser les autocontrôles, mais votre cher ami n’est pas un gourmand et peine à se concentrer. Il faut donc passer par le jeu (plus compliqué à gérer pour récompenser) et faire d’abord des petits jeux d’autocontrôles.
Tous ces petits sentiers tortueux vous font parfois penser que votre chien n’est pas à la hauteur. Il ne veut pas comprendre, il n’essaye même pas de s’en sortir. L’autre, celui du voisin au moins, il a la volonté lui ! Ce sentiment disparaît bien sûr de votre esprit, et vous vous sentez même horriblement coupable, mais cela ne vous empêche pas de retrouver cette émotion à la prochaine difficulté. Rassurez-vous, c’est humain. En avoir assez de son mari, de sa femme ou de ses enfants ne signifie pas que l’on veut les jeter à la poubelle. Des fois, la comparaison est juste trop douloureuse.
Et bien puisque cette tendance est naturelle, utilisons-la et comparons, mais partons sur des bases justes. Le toutou de cet influenceur est lâché en ville sans arrêt et le vôtre vous fuit dans le jardin ? Quelle est la race de votre chien, son caractère de base, que vous l’ayez pris en refuge ou en élevage, quel est son passif ? On ne peut pas attendre la même chose d’un Border Collie qui a reçu la meilleure socialisation possible, naturellement proche de l’homme (oui un Border indépendant ça existe), qu’un croisé lévrier, traumatisé et solitaire. D’ailleurs, même deux frères ou sœurs au passé, à l’éducation et aux expériences semblables peuvent réagir différemment. Les combinaisons sont infinies car de nombreux facteurs entrent en jeu ! Chaque animal a sa propre sensibilité, ses appétences, ses points faibles et ses points forts.
Mettez-vous à sa place
Nous avons tendance à l’oublier, mais tous les chiens sont en réalité dotés d’un sens de l’adaptation extrêmement développé. Ils vivent un quotidien que l’on a choisi avec eux en respectant des règles parfois contraires à leur instinct. Plus difficile encore, les chiens apprennent des comportements, souvent complexes, que nous leur enseignons grâce au leurre, à la capture ou au shaping. Si vous pensez que votre chien met des siècles à saisir ce qui lui est demandé, qu’il est un peu bébête (ça ne vous empêche pas de l’aimer), voici un petit jeu qui devrait vous faire changer d’avis. Prenez quelques objets (un bol, un pot de fleurs, une pièce de monnaie par exemple) et placez-les sur une table. Songez à un comportement que vous voulez faire faire à votre complice (évitez la balle dans le pot, trop évident) mais ne lui expliquez rien. Laissez-le agir comme il le veut et cliquez chaque mini-réussite pour le guider jusqu’au comportement final. Les seuls indices sont vos clics qui doivent le mener au résultat : va-t-il réussir ? Allez-vous y parvenir à votre tour ?
Croyez-en l’expérience de deux éducatrices en positif, habituées à bien marquer un comportement adéquat et décomposer : l’exercice est en réalité plutôt complexe : Un clic imprécis, une étape de sautée et c’est la confusion. Ce but à atteindre, c’est exactement ce que vous demandez à votre compagnon à quatre pattes, or il est difficile, y compris pour un cerveau humain, de tout assembler. Soyez donc compréhensif et patient… Vous découvrirez vite que votre chien est non seulement déjà extraordinaire au quotidien, mais qu’il peut aussi devenir le complice le plus intelligent qui soit, pourvu qu’on lui mette toutes les chances de son côté.
Trouver le domaine d’excellence de votre chien
L’influenceur qui amène son meilleur ami sans laisse partout ne possède pas tous les talents. D’ailleurs, peut-être est-il habitué à sillonner les villes à force de toujours accompagner son référent qui n’avait d’autre choix que de l’emmener car il détruisait tout à la maison. Mais plutôt que de se concentrer et de se réconforter avec les faiblesses d’autrui (c’est humain, naturel et compréhensible), focalisez-vous sur les talents de votre loulou. Vous seriez surpris de découvrir combien votre chien à vous peut être extraordinaire dans un domaine. Ainsi, de véritables réactifs se sont révélés en mantrailing (où il faut retrouver un humain), celui qui se disperse en obéissance est un champion en devenir d’agility… Et le “tout mou” effectue ses tricks à la vitesse d’un paresseux fatigué mais avec une propreté impeccable, le menant à accomplir de véritable enchaînements complexes.
Quand vos yeux brillent lorsqu’ils regardent votre chien, sa propre estime remonte. Il est confiant, sûr de lui dans ce domaine. Dans notre formation “laisse-moi Flair” Ness et moi avons assisté à la renaissance d’un loulou terrifié par son environnement, y compris par le bruit du clicker. Les séances de preydummy lui plaisaient tant que ce chien a fini par pousser des objets très bruyants sans hésiter afin de trouver le trésor en un temps record. Laissez votre chien s’exprimer et découvrir sa véritable vocation. Pour certains, c’est le sport, d’autres les longues balades paisibles dans un endroit désert. Oui, il existe des chiens qui ont un pouvoir apaisant sur nous, quand ils se promènent.
Votre chien n’est plus réactif, c’est un talentueux danseur
Revaloriser les points forts de votre chien ne fera qu’accentuer votre complicité. Vous aurez davantage envie encore de passer du temps avec, mais plus important encore, vous le verrez autrement que comme le “chien problématique”. Laissez-le devenir autre chose que le réactif qui vous empêche de socialiser ou le destructeur qui vous cloître chez vous. Quand vous évoluez dans ce domaine qui vous plaît, quel qu’il soit, votre meilleur ami redevient votre meilleur ami, celui qui vous accompagne dans toutes vos folies. Le quotidien mis entre parenthèses vous offre la plus belle image possible, aussi réelle que celle des réseaux sociaux. Ce talent faisait déjà partie de lui, mettez-le en valeur.
Le carnet de réussites
Quand vous avez l’impression que votre chien stagne, c’est peut-être parce que vous sautez les étapes… Ou que vous ne voyez pas les micros-victoires. Pour chaque toutou, encore une fois, les critères sont différents. Pour un chiot monté au shaping depuis son plus jeune âge, on attend qu’il apprenne tel ou tel trick en 2 ou 3 séances (et encore même eux ont le droit de prendre leur temps). Pour un vieux chien débutant, faire de même en 10 sessions est aussi méritoire sinon plus. Le chien de votre voisin a réussi à ignorer ses congénères rapidement ? Notez déjà que votre grand réactif a détourné les yeux deux secondes de ce berger australien à 100 mètres. Parce qu’il n’en était pas capable avant, c’est une grande victoire personnelle.
Pour vous calquer objectivement sur les véritables succès de votre compagnon, tenez un carnet des réussites. Décrivez le point 0, l’endroit d’où vous partez. Les jours de blues, n’hésitez pas à tourner les pages pour voir combien vous avez réellement avancé. Cela vous permettra de prendre du recul sur les capacités de votre chien mais aussi les vôtres.
Je ne mérite pas mon chien
S’il arrive que nous pensions que notre meilleur ami n’est pas celui que nous aurions dû avoir (mais fugacement car c’est un sujet tabou, pourtant naturel), le contraire est bien plus fréquent. Nous avons tendance à nous dire que notre boule de poils serait mieux dans des mains plus expérimentées. Ness et moi avons déjà eu des clients qui disaient “au moins, vos chiens ont de la chance, si Luna avait des humains comme vous, elle progresserait sûrement”. Nous rétorquons toujours que c’est vrai sur certains points précis techniques, mais que Luna n’aurait en réalité pu mieux rêver que sa référente. Celle-ci s’inquiète de ses besoins, prend un éducateur pour l’aider, est sensible à ses émotions et lui offre une routine sécuritaire. Une fois attaché à son humain, le chien s’adapte aux autres, il peut même l’apprécier, certains de nos élèves poilus gardés pour de la rééducation étaient de véritables bouts-en-train avec nous, mais ils retournaient toujours joyeusement dans les bras des leurs.
Vous avez construit votre chien, acceptant sa personnalité, l’aimant pour ce qu’il est et lui permettant de progresser. Les réactifs “depuis dix ans qui n’évoluent pas” ne seraient pas mieux chez un autre qui ne l’aurait pas gardé ou aurait abandonné. (on ne juge pas ce genre de cas !). Il aurait pu aussi être bien plus réactif à cause d’un mode de vie qui lui conviendrait moins. Avec de si, on peut refaire le monde, mais on pense toujours au “mieux” et pas au “pire” qui aurait pu arriver.
Vous êtes peut-être débutant dans l’apprentissage de tricks, mais votre chien ne voudrait pas d’un autre mentor. Il s’amuse avec vous, se connecte à votre regard et dévore vos friandises. Ne songez pas à ce que votre chien devrait avoir, mais ce que votre équipe mérite.
Beaucoup d’entre nous vantent la capacité du chien à vivre uniquement le présent. Faisons de même. Médor n’a aucune considération pour ce que sa vie aurait pu être sans vous. Il est bien plus heureux de vous voir prendre son harnais pour une longue balade, ou votre clicker pour une séance de tricks. Peu importe que vos mains soient celles d’un champion ou d’un débutant. Fixez vos propres limites et vos objectifs, devenez sereinement, sans vous comparer, ce duo dont vous avez toujours rêvé.