Depuis quelques années, les chiens « Doodle », ces chiens croisés entre un caniche et une autre race, sont de plus en plus prisés par les nouveaux acquéreurs. Les labradoodles, goldendoodles, cockapoos, aussiedoodles et autres croisements font aujourd’hui partie intégrante des compagnies canines, mais qu’en est-il de leur statut de race ? Est-ce que ces chiens mélangés méritent vraiment d’être considérés comme une nouvelle race à part entière ? Dans cet article, nous allons explorer l’origine des premiers doodles et déterminer si oui ou non, ils remplissent les critères pour être considérés comme une race à part entière.
L’origine des premiers doodle
Le terme “doodle” définit toute race croisée avec un Caniche (“poodle” en anglais). Ainsi, un croisement de labrador et de caniche royal est un “labradoodle” (labrador-poodle) et le croisement d’un berger australien et d’un caniche royal est un “aussiedoodle” (australien-poodle). La première variété de « doodle » est répertoriée en 1969 par Monica Dickens. Elle cherchait à obtenir les meilleurs attributs des deux races, sans résultat probant.
Dans les années 1990, les Goldendoodles sont devenus un grand phénomène populaire appelé caricaturalement « designer breed« . En 1988, l’éleveur australien Wally Conron créait le Labradoodle. Il travaillait avec l’Association royale de chiens guides d’Australie, dans l’espoir d’élever un chien hypoallergénique pour une personne déficiente visuelle dont le mari avait des allergies sévères. Cependant, tous les doodles ne sont pas hypoallergéniques et beaucoup sont vendus comme tels sans preuve scientifique pour étayer la revendication.
Ce n’est pas (ou plus) le début d’une nouvelle race
Si on peut défendre la vision d’origine du doodle, ses multiples variantes en font une mode hors de contrôle. Rappelons-le : créer une race, ce n’est pas reproduire deux chiens de races différentes. Selon les organismes internationaux, la création d’une nouvelle race se justifie par un ou plusieurs objectifs :
- Fixité des caractéristiques physiques (robe fauve et oreilles droites pour le malinois par ex)
- Fixité de compétences au travail (atavisme du border collie mis en contact avec des moutons)
- Préservation d’un chien historiquement sélectionné à une certaine époque ou à un certain endroit (présence du cursinu en Corse dès le 16ème siècle)
Le chien de race ne se résume pas « qu’à » un croisement de plein de jolis chiens puis à donner un nom à leur progéniture. En France par exemple, une race est valorisée à partir de 100 naissances par an. Les exemples sont multiples mais en voici un : le kooikerhondje qui puise ses racines en Hollande depuis le 16ème siècle. Le manque de spécimens lui a valu une reconnaissance très tardive dans notre pays. Pourtant, la race démontre depuis plusieurs siècles les trois caractéristiques d’une race fixée depuis longtemps.
- Un mental égal et une grande polyvalence
- Une robe exclusivement fauve et blanche, des “boucles d’oreilles” et une longue queue frangée
- Sa présence sur des tableaux du 16ème siècle en Hollande démontrant la fixité des attributs physiques depuis +400 ans
- Une utilisation historique pour leurrer les canards sauvages dans les “canardières”
Voyons donc si les doodles cochent ces cases.
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Fixité des caractéristiques physiques
On peut reconnaître une chose chez le doodle, c’est la prédominance de son poil bouclé. Le gène issu du caniche prévaut facilement et rend le chien clairement reconnaissable. Mais… C’est bien la seule chose qui le caractérise.
Croiser deux races déjà très fixées (labrador crème ou fauve et caniche royal au poil bouclé) donne forcément des chiots du même type. Des chiens moyens à grands, variant du blanc au fauve, avec de jolies bouclettes. Cela ne correspond néanmoins qu’au “labradoodle”.
Les mille et unes autres variantes se déclinent sur toutes les palettes.
Le aussiedoodle est merle avec des oreilles tombantes, le doberdoodle est fauve et feu avec des oreilles droites… Le cockapoo est minuscule à l’inverse du rottle et ses 80cm au garrot…
Le poil bouclé peut être le seul trait consistant dans ces mélanges, et il est souvent vendu comme hypoallergénique. Ce qui n’est majoritairement pas le cas.
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Fixité de compétences au travail
Nous avons déjà parlé en long et en large du chien de travail (si le sujet vous passionne, nous avons même écrit un livre sur les différentes lignées). Le chien de travail se distingue par sa sélection dans un but utilitaire. Par exemple :
- Le terre-neuve pour du sauvetage à l’eau
- Le lagotto pour la recherche de truffes
- Le berger belge pour la protection ou défense
- Le podenco pour la chasse au lièvre, etc.
Bien sûr, tous les sujets de la race ne correspondront pas aux critères de sélection pour du travail. Cependant, on trouvera très rarement un terre-neuve qui déteste l’eau, ou un podenco qui ne chasse pas. On peut vraiment dire que c’est “dans leurs gènes”.
À côté de ça, le travail d’assistance, pour lequel a été créé les premières variantes de doodle, ne se base sur aucun atavisme. Aucun sens spécifique, aucune tâche unique ne requiert les compétences propres du canidé. Il peut aussi bien rapporter des équipements médicaux, alerter pour un niveau trop haut de glycémie, faire du guidage, de la pressothérapie ou de l’interruption de crise.
Tout cela ne se base que sur du conditionnement. Ce ne sont pas des choses « instinctives » que le chien va faire. On devra lui apprendre, exactement comme on peut le faire avec toute autre race.
Le doodle ne rentre pas dans la catégorie « sélection pour le travail” qui pourrait expliquer l’énorme diversité physique.
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Préservation d’un chien historiquement sélectionné
Certaines associations essaient de situer le premier doodle en 1969. La petite fille de Dickens en aurait la paternité, bien qu’il ne s’agisse que d’une saillie et pas d’un début d’élevage. Pas de sélection, un historique qui remonte à environ 50 ans… Soit une création relativement moderne et très peu de littérature sur le sujet.
Le doodle, et même plus spécifiquement le goldendoodle créé dans les années 70 n’est pas assez ancien pour cocher cette case.
Nous avons donc un chien (parfois) bouclé, majoritairement de taille moyenne et dont la création ne remonte pas à +100 ans. Inutile de se questionner sur son absence de LOF en France.
Le vrai danger du “doodling”
Lorsqu’on parle doodle, on rencontre toujours cet arguments phare : “les races aussi viennent de chiens croisés” que nous avons démenti précédemment (fixité de caractéristiques et/ou historiquement présent). Or, en justifiant le croisement de chiens par “c’était comme ça avant”, on trouve très facile de mélanger deux chiens de race pour soi-disant en créer une nouvelle. Facile, avec un joli méli-mélo de noms, on sort un bel argument marketing de son chapeau.
- Achetez donc notre cookapoo (cocker/coodle)
- Qu’il est beau ce rottle ! (rotweiller/poodle)
- 2.000€ le très rare shepadoodle merle (border collie/poodle)
- Foodle hypoallergénique (fox terrier/poodle)
Ça en devient un jeu, à qui créera le meilleur mélange de noms pour ce nouveau croisement.
Pourquoi un croisement de border collie x berger australien est un …. Croisé border x aussie, mais un croisement d’australien et de caniche en fait automatiquement une race, le “aussiedoodle” ?
C’est la porte ouverte à tous les éleveurs du dimanche, qui vendront à des particuliers crédules, des (attention, jouez pour trouver ces nouvelles races à la mode) :
- malicollie
- yorktsu
- borsky
- boxorso (technique celui-là)
Bien qu’il existe de très bons élevages de pomsky, n’oublions pas que la race a vu le jour à cause d’un journaliste stagiaire, ayant plébiscité un chiot finnois de laponie comme un chien adulte, croisé pomeranian et husky !
Il n’a pas fallu 2 ans pour que les premiers chiots pomsky se vendent +2.000€. Aujourd’hui, la demande est là, mais le lancement fut profondément mercantile (comme l’explique cet éleveur).
Le futur des chiens dans un monde “doodle”
Si on peut trouver un intérêt à quelques doodles (le caractère doux du golden et sa taille pour le travail d’assistance, avec l’intelligence et la vivacité du caniche royal), on serait bien naïf de penser que ce phénomène s’arrêtera là.
Folie furieuse aux US, cette mode ne tardera pas à arriver en Europe. On la voit déjà débarquer en France, avec les arguments marketing fallacieux qui vont avec. Tous les chiens bouclés sont hypoallergéniques, ils ne perdent pas de poils, et en plus ils ne demandent aucun entretien ! (Demandez donc aux toiletteurs quels sont leurs pires cauchemars, c’est probablement d’avoir une journée entière remplie de doodles jamais brossés).
L’arrivée du doodle signera fatalement l’essor des races créées et nommées pour les vendre plus cher. Si un croisé husky pouvait se vendre 200€ sur LeBonCoin, un “shepsky” sera vendu 1.200€. Et bien sûr, les “défauts” du nordique seront magiquement annulés par la présence du sang de berger. (ou pas).
Croiser des chiens comme si on mélangeait les ingrédients d’un gâteau
Les articles de presse, écrits par des pigistes qui n’ont souvent comme connaissances cynophiles que les résumés d’articles Wamiz, jouent beaucoup dans l’évolution des mœurs. Ainsi, il suffit qu’un article populaire titré “ces croisements de husky qui vous feront fondre” pour faire croire à des centaines de milliers de lecteurs que tous les chiens aux yeux bleus sont croisés husky. On en fait même des races : découvrez le Goberian ou de Pitsky ! Dans la tête d’un marchand de chien, il suffit de croiser n’importe quoi avec ce nordique pour obtenir ces iris si recherchés…
Pas d’inspiration ? Le boss vous demande un article pour dans 2h ? Trouvez des photos de chiens et inventez des croisements au hasard. Le terrier dandie devient un croisé teckel et shih tsu, le foxhound américain est croisé beagle et labrador… Il faut à tout prix faire du clic, quitte à dire absolument n’importe quoi.
Cette mentalité laisse le grand public supposer que s’ils veulent un grand chien noir aux yeux bleus, il suffit de croiser un husky et un groenendael. Aucune notion de brassage génétique, et le résultat est souvent très loin de ce qu’ils imaginaient.
Est-ce la fin des nouvelles races avec cette mentalité ?
Il serait très facile, pour démonter cet article, de le réduire en “nous ne voulons plus aucune nouvelle race”. Ce qui est à l’opposé de la vérité. Il existe de part le monde, des éleveurs qui travaillent depuis +50 ans sur la création de nouveaux types, ou perfectionnent une race déjà existante.
Pour le grand public, le husky de Sibérie est le chien de traineau ultime. Pourtant, depuis plusieurs décennies déjà, les courses les plus célèbres sont courues par des alaskan sled dog. Ces chiens ont peu de traits communs : les oreilles sont hautes ou basses, les robes vont du blanc au noir, certains sont très osseux et d’autres fins comme des lévriers. Mais tous partagent un point commun important : ce sont d’excellents chiens pour les courses de traineau. Ils ont la force physique, la résilience, le mental et le will to please si cher aux mushers.
Côté purement esthétique, le monde moderne recherche des races plus petites pour une vie urbaine. Ainsi, le klee kai et le berger americain miniature sont sélectionnés depuis plusieurs décennies. Les deux races veulent garder la même promesse : sélectionner des chiens de plus en plus petits en gardant le mental de leurs ancêtres. Ainsi, aucun caniche ou shih-tsu ne fait son apparition dans la généalogie de ces miniatures. On a simplement reproduit les plus petits des standards. Ils gardent la même énergie, et sont donc très prisés dans les sports cynophiles.
Capitaliser sur le besoin d’avoir un “beau chien”
Bien sûr, tout le monde rêve de ce fauve sombre aux yeux bleus… Ou d’un petit chien aux allures de top model. Tout le monde veut SA version de la beauté canine, et c’est normal. Ne soyons pas hypocrites. Personnellement, je ne trouve rien de plus beau qu’un border collie merle aux yeux bleus. Calli bave devant les podenco ibicenco aux longues oreilles droites. Chacun à ses préférences, et il est inutile de les diaboliser.
Maintenant, le chien lui aussi recherche son humain idéal. Et lui n’a pas besoin que nous ayons de beaux cheveux bouclés ou des pectoraux d’acier. Il a besoin d’un humain qui respecte ses besoins ou y réponde. Selon les races (ou croisements), les demandes seront très différentes. Un petit chien voudra beaucoup d’attention et de contacts physiques, un berger de travail nécessitera énormément de stimulations mentales pour se sentir bien dans ses pattes.
Or, s’il est facile pour un éleveur de tervueren de rechercher une famille active et prête à s’investir car il sait quoi rechercher… Il est plus compliqué de savoir qui sera l’humain idéal d’un chien croisé porte et fenêtre. Dans le cadre d’une adoption, on fait comme on peut. Mais difficile de ne pas tiquer quand c’est dans un but capitaliste qu’on reproduit des croisés sans tenir compte de l’épigénétique.
Oui, le malinois croisé husky a de beaux yeux bleus… Mais il hérite aussi du besoin d’exercice et de stimulation de ses deux parents. Et ça, les vendeurs de “malusky” se garderont bien de vous le dire.
Dans le marché du chien croisé, le Doodle… Reste un bon toutou
Si cet article incrimine très largement les éleveurs du dimanche aux volontés mercantile, il ne cible absolument pas les propriétaires de doodles. Il est tout à fait compréhensible d’aimer le look atypique de cette race, ou la personnalité attachante des chiens. Nous ne voulons absolument pas attiser la haine sur eux, et ils ont leur place dans les concours d’obéissance comme dans le monde du chien d’assistance.
Notre but, en écrivant cet article, est de sensibiliser un maximum pour éviter les achats impulsifs ou motivés par une notion factice de rareté. Nous voulons vous éviter d’être la cible de « marchands de vie » qui jouent avec des gênes pour de l’argent. Dans la majorité des cas, ils ne prennent en compte ni la santé de leur future portée, ni les besoins de leur croisé vendu comme un chien de race. À côté de cela, il existe de merveilleuses races déjà stabilisées, d’autres, légitimes en cours de reconnaissance et enfin bien sûr, nos authentiques croisés à adopter. Peu importe leurs gênes, leur lignée, tous nos amis canins font de formidables compagnons, mais il faut se poser la question de leurs origines afin de ne pas favoriser un juteux trafic où chiens et futurs propriétaires seront forcément lésés.
Comprendre les doodles : plus qu’une mode éphémère
En conclusion, les doodles ne sont pas considérés comme une nouvelle race de chien par les organisations internationales de standards de races canines. La création d’une nouvelle race nécessite des caractéristiques physiques et comportementales fixes, qui ne sont pas présentes chez les doodles. Les différentes variétés de doodles sont simplement des croisements entre des races existantes, ayant en commun leur poil bouclé. Il est important de noter que cela ne signifie pas pour autant que les doodles ne sont pas de bons animaux de compagnie. Chaque chien, qu’il soit de race pure ou croisé, est unique et peut faire un animal de compagnie formidable. Les propriétaires de doodles peuvent être assurés que leur toutou est tout aussi digne d’amour et d’attention que n’importe quelle autre descendant d’une race canine ancienne.